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avril 2024 / La vie du 18e

La Fanforale du Douzbekistan fête ses 20 ans

par Jean Serillin

Ou comment une fanfare chorale de renommée est née dans une résidence de potes. Au 12 boulevard de La Chapelle, face au métro aérien, on peut encore y entendre des chœurs féminins s’élever au son du tuba et des trompettes tziganes.

Le rendez-vous était pris avec Alan et Pascal, deux des piliers fondateurs, au bar le Tout va mieux, véritable Q.G. de la Fanforale du Douzbekistan. Le loto du soir nous a fait nous replier dans une dépendance de l’immeuble enchanté, où cette fanfare pas comme les autres a vu le jour il y a vingt ans. Quoi de plus naturel, puisque tout est parti d’ici ?

« Fanforale, et pas fanfarole ! »

Dans cet immeuble de rapport datant de la deuxième moitié du XIXe siècle, trois bâtiments en enfilade encadrent trois cours carrées qui ont vu grandir des générations d’enfants issus de l’exode rural – des migrations de juifs d’Europe de l’Est, d’Italiens, de Portugais, de Tunisiens – dont certains vivent encore là. Puis au début des années 2000, cette grande colocation animée d’environ 80 appartements voit arriver peu à peu de jeunes étudiants, par le bouche à oreille et par la confiance d’une gardienne. Une bande de copains se constitue : il y a la filière beaux-arts, la filière ingénieurs du son, les archis… L’ambiance du vivre ensemble, multiculturelle et joyeuse, se retrouve dans la cour où les apéros se prolongent pour refaire le monde et les fêtes d’immeuble se succèdent. « Un groupe s’est constitué, une espèce de clique. Il y avait déjà quelques musiciens, dont Caro qui avait un petit groupe ‘La main gauche’, qui est encore aujourd’hui le nom de l’asso qui gère la Fanforale, explique Pascal. Et puis un soir on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de tout ça, qu’il fallait apprendre un instrument ou bien le chant ! ».

L’esprit des Balkans

De là, une chorale naît. « De façon assez évidente et naturelle, on a donné les clés à Caro », se souvient Pascal. Elle jouait de la clarinette, chantait, avait de l’expérience. Et elle avait l’oreille, la maturité et l’autorité naturelle pour accorder cette bande un peu anarchique et désordonnée avec tact. » A l’été 2004, Pascal part en Serbie. Il prend une grosse claque et ramène avec lui l’esprit des Balkans qui va si bien coller à la Fanforale. Un copain hérite d’un tuba, d’un trombone et d’une trompette. Chacun s’en saisit et s’y met, l’orientation musicale est claire désormais. Tout le monde participe, au chant, aux instruments, aux tracts. Alan, qui allait et venait entre ses cours d’ingénieur du son et dont l’appartement servait souvent de lieu de répétitions, détaille : « C’était pas de la grande musique, mais ce n’était pas cacophonique. Il y avait un équilibre entre les chants et la musique, du relief. Quelque chose a donc éclos, »comme une plante qui pousse dans la cour".

Mémorables fêtes de la musique

A chaque fête de la musique, à chaque apparition publique dans le quartier où en déplacement, la Fanforale est de plus en plus remarquable et remarquée. Au point qu’aujourd’hui, le noyau d’une quinzaine de membres est passé à une quarantaine, dont une trentaine de musiciens et chanteuses. Les fêtes de la musique au 12 ont dépassé les habitants : la qualité, les invités, les bœufs, en ont fait des moments uniques et prisés.

Après avoir gagné une bourse en 2023 pour l’enregistrer, ils préparent un quatrième album et appellent à la souscription pour une sortie prévue à l’automne. En parallèle, alors que les concerts s’enchaînent, la Fanforale du Douzbekistan fête ses 20 ans. Alan et Caro ont fondé une famille et ont quitté le 12 l’an dernier. Traumatisme du groupe ou logique d’une fin d’époque ? Il est clair que, si les murs venaient à s’écrouler, le ciment dont est fait la Fanforale est aujourd’hui en béton armé...de cuivres. •

Photo : Pierre-Marie Castet

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n° 328

juillet/août 2024