D’origine alsacienne, Robert Herdner est né en 1886 à Tarbes, ville où travaillait son père pour le compte de la Compagnie des chemins de fer du Midi. Robert Herdner a quatre frère et sœurs. Leur père, Henri Herdner, est un ancien élève de l’Ecole polytechnique (l’« X » ) et de l’Ecole des mines de Paris.
Il se fera connaître pour de remarquables travaux scientifiques, notamment sur l’électrification des chemins de fer puis sur les locomotives à vapeur. Il deviendra président de la Société des ingénieurs civils de France. Dès son plus jeune âge, Robert Herdner développe une inclination pour la création mécanique au grand dam de sa famille. En cachette de ses parents, il emprunte des ciseaux, un rasoir…pour tailler dans le métal d’une boîte de conserves ou pour couper des épingles à cheveux. Avec du papier, du carton, des bouchons, des épingles et du fil de lin, il construit ses premiers jouets. Plus leur construction est difficile, plus il en éprouve de la satisfaction et de la joie. Il expliquera son penchant pour la construction mécanique par son hérédité paternelle et déclarera ainsi : « Mes créations les plus utiles en médecine ne sont rien en regard des belles locomotives nées du génie de mon père. »
Une gracieuse danseuse de ballet
En 1906, il obtient le baccalauréat. Voulant devenir médecin, en dépit de la vive opposition de son père qui ne jure que par l’« X », il prépare et obtient, en 1907, son certificat d’études physiques, chimiques et naturelles (dit PCN). Prérequis pour l’inscription en faculté de médecine, le PCN a pour but de renforcer la formation scientifique et biologique des aspirants médecins. Lors de cette très prenante année du PCN, Herdner réalise son premier automate abouti : une gracieuse danseuse de ballet. Il dispose pour ses réalisations d’un petit atelier, rue de la Faisanderie, où il vit chez ses parents. Pour Herdner, un automate est « un sujet renfermant dans son corps aux formes délimitées le mécanisme qui l’anime et qui lui permet une libre évolution dans l’espace, le mouvement sans lequel il n’y a pas de grâce ». En 1910, il réussit le concours de l’externat de médecine permettant aux étudiants de suivre une formation de haute qualité au sein des hospices ou des hôpitaux. Parallèlement, il est nommé médecin auxiliaire de réserve dans l’armée. Sa première année d’externat (1911-1912) se déroule au sein du service de chirurgie de l’hôpital Beaujon, alors situé dans le 8e arrondissement. Décrit comme un excellent étudiant, Robert Herdner s’inspire de certaines caractéristiques des malades pour créer de petits modelages animés reproduisant leurs traits, leur démarche, leurs gestes si bien que des industriels du jouet mécanique achètent ses premières réalisations. Les montants reçus lui permettent de financer son outillage. En dépit de ce succès inattendu, il reste concentré sur ses études médicales.
Externe à l’hôpital Bretonneau
A partir de 1912, il poursuit sa formation d’externat à l’hôpital Bretonneau, dans le 18e arrondissement. Inauguré onze années plus tôt, en 1901, Bretonneau a été construit afin de remplacer l’hôpital pour enfants Trousseau, désaffecté depuis 1895. La même année, dans un mémoire, le préfet de la Seine avait déjà attiré l’attention sur l’insuffisance d’hôpitaux d’enfants dans la capitale. En outre, une pétition d’habitants des Grandes Carrières avait réclamé l’établissement d’un hôpital pour enfants dans leur quartier. Cette pétition obtint satisfaction car, par délibération de l’administration de l’Assistance publique, c’est le choix de la rue Etex qui fut retenu. L’hôpital reçoit le nom de Bretonneau, en hommage au médecin Pierre-Fidèle Bretonneau, célèbre clinicien et pionnier de la médecine scientifique. Construit sur un terrain triangulaire de 14 500 m2, formé par les rues Carpeaux, de Maistre et Etex, l’établissement est conçu selon un modèle pavillonnaire qui permet d’isoler les malades en fonction de leur pathologie. La chirurgie dispose, elle, de deux pavillons selon la nature des cas. Robert Herdner est justement affecté au sein du service de chirurgie pédiatrique du professeur Louis Ombrédanne. C’est lors de cette année d’externat qu’il crée un automate auquel il donnera le physique et le prénom d’une infirmière connue dans tout le service : « Mademoiselle Claire ».
Le médecin-mécanicien
Grâce à son talent de mécanicien et à sa connaissance parfaite de l’anatomie, le jeune Herdner a créé une infirmière-automate qui pousse devant elle une petite table roulante sur laquelle se trouvent des instruments de chirurgie. Herdner la positionne devant un lit de malade et, véritable chef-d’œuvre de mécanique, l’automate, d’un geste sec de son bras articulé, saisit au choix un spéculum, un bistouri, des aiguilles, des ciseaux, des compresses, des mèches pour un pansement, etc. Pour créer cet automate, Herdner s’est fondé sur des mouvements d’horlogerie complexes. C’est la raison pour laquelle dans les articles de presse consacrés à son infirmière-automate, il est spontanément comparé à l’illustre Vaucanson, horloger, mécanicien et inventeur de plusieurs automates, au XVIIIe siècle. Cependant, Herdner avouera n’avoir été influencé par aucun précurseur célèbre ni par l’étude d’aucune pièce de musée. Il explique la genèse de ses automates par l’observation de la nature, dans sa beauté comme dans sa laideur, toujours avec le mouvement. Au sein du service de chirurgie pédiatrique de Bretonneau, l’automate fait l’admiration et la joie de tous, médecins, malades, infirmières, à commencer par la vraie Mlle Claire qui a servi de modèle à Herdner.
Première Guerre mondiale
En 1914, la guerre éclate. L’hôpital Bretonneau, à l’instar des autres hôpitaux de l’Assistance publique, doit se réorganiser pour faire face à la réquisition de lits pour un très grand nombre de civils et de militaires affluant au rythme des offensives et des bombardements. L’hôpital est également confronté aux pénuries de denrées, de matériels mais aussi de personnel. En effet, conformément à l’ordre de mobilisation, les médecins et les étudiants en médecine, entre 20 et 40 ans, doivent s’enrôler en qualité de médecins militaires. Robert Herdner, âgé de 28 ans, est affecté dans l’artillerie en qualité de médecin aide-major de 2e classe. Pendant le conflit, il prouvera une nouvelle fois son ingéniosité. Il réalisera avec des matériaux ramassés dans les villages dévastés du front un dispositif de protection instantanée des abris et des sapes contre les gaz de combat. Retardé dans ses études, il devra attendre le 15 juillet 1920, pour enfin soutenir sa thèse et obtenir son diplôme de docteur en médecine de la faculté de Paris. Il se spécialisera en radiologie.
De l’automate au robot-infirmier
En 2023, le robot-infirmier « Hospi » est lancé sur le marché japonais. Il est capable de programmer la distribution des médicaments à heures fixes, de répéter aux malades autant de fois que nécessaire les recommandations et prescriptions médicales et, même, de leur laver les cheveux ! Bien entendu, lorsque Robert Herdner réalisa en 1912 son automate-infirmier, il ne pouvait imaginer de telles avancées. D’ailleurs, il existe une différence entre un automate qui est une machine au sein de laquelle un mécanisme caché a pour objectif d’imiter de manière répétitive les mouvements des êtres vivants, et un robot qui est une machine capable d’apprendre, de comprendre et d’ajuster. Cependant, Herdner avait déjà pris conscience de l’intérêt de l’introduction de l’automate dans le domaine médical notamment pour la pédagogie et de la didactique. Pour lui, ses aptitudes techniques étaient même bénéfiques à sa pratique médicale. Il affirmait ainsi « qu’une carrière toute particulière était ouverte au médecin qui, loin de rejeter un don de mécanicien, consent à le développer et le marier avec sa spécialité médicale ». Aujourd’hui, le développement des robots-infirmiers poursuit un double but : pallier le déficit de personnel et soulager le travail des soignants qui pourront, désormais, se concentrer sur le soin et le relationnel. En effet, les robots ne pourront jamais remplacer les humains, en tout cas tant qu’ils ne seront pas capables d’écouter un patient, de lui sourire, de lui porter un regard compatissant, de lui parler ou de rire avec lui, de lui tendre la main ou de le réconforter.
Robert Herdner est décédé, à 90 ans, le 4 janvier 1976 à Bourges et n’avait jamais oublié celle qu’il appelait « sa belle panseuse de l’hôpital Bretonneau » •
Illustration : Stéphanie Clément