Si, à notre grand regret, la presse ne fait plus recette pour les kiosques parisiens, leur présence emblématique pourrait offrir des services de proximité, favoriser les échanges et le lien social.
Le kiosque à journaux est, comme la colonne Morris, un incontournable du paysage parisien depuis 1857, quand le baron Haussmann a inauguré sur les Grands Boulevards le tout premier. Un gracieux édicule conçu par un homme qui s’y connaissait en mobilier urbain, l’architecte Gabriel Davioud. Aujourd’hui à Paris, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les kiosques sont plus nombreux que jamais : 340 pour toute la ville. Le 18e arrondissement en compte dix-neuf. Un nombre qui peut paraître assez faible pour un arrondissement parmi les plus peuplés de la capitale. D’autant qu’ils ne sont même plus dix-neuf aujourd’hui mais dix-huit, car le kiosque du métro Barbès-Rochechouart a fermé après l’agression de son vendeur Samir Lebcher, en 2019 et vient d’être démonté.
Sur les dix-huit restants, seuls douze vendent encore des journaux mais pas exclusivement, loin s’en faut (la presse ne représente que 60 à 95% de leur chiffre d’affaires, selon les emplacements). Deux autres vendent des fruits et légumes et un, rue du Poteau, a été transformé en conciergerie par l’entreprise de services « Lulu dans ma rue ». Les trois derniers sont tout simplement fermés, parfois depuis longtemps, comme celui qui se trouve dans la partie haute de la place de Clichy, d’autant plus inutile qu’il y en a deux autres un peu plus bas, à moins de 200 mètres.
Rentabilité contre espace public
Le gestionnaire de tous ces kiosques à Paris où le contrat passé avec la Ville court jusqu’en 2031 mais aussi partout en France, est depuis plus d’un siècle MédiaKiosk, une entreprise de régie publicitaire dont Jean-Claude Decaux est désormais actionnaire très majoritaire. Elle se charge de tout : conception des nouveaux kiosques, fabrication, installation sur la voie publique (après concertation avec les autorités municipales), maintenance, choix et formation des kiosquiers. Ces investissements peuvent paraître lourds, en fait ils rapportent beaucoup : depuis le déclin de la presse papier, la véritable fonction rémunératrice du kiosque est en effet celle de support publicitaire. Les tout derniers modèles ont d’ailleurs été conçus expressément à cette fin. On comprend mieux pourquoi les kiosques qui ont baissé le rideau restent en place : les annonces publicitaires s’y succèdent toujours et ne cessent pas d’être rentables.
En tant que responsable voirie, mobilités douces, espace public, Antoine Dupont, adjoint EELV au maire du 18e, déplore cette situation : les kiosques doivent être au service du citoyen. Lorsqu’ils deviennent de simples supports publicitaires ou des ersatz de boutiques de souvenirs pour touristes pressés et peu regardants, ils encombrent inutilement la déambulation des piétons, confisquant ainsi l’espace public à des fins lucratives, au même titre que les terrasses abusives, les étalages envahissants, les stationnements sauvages, etc.
Pour des kiosques utiles
Ces constats n’ont rien d’anodin : en effet, les prochaines mandatures seront confrontées à deux problèmes essentiels : la lutte contre les effets du réchauffement climatique en ville et la défense de l’espace public. Il semble que les actuels responsables municipaux parisiens soient bien conscients de l’importance du premier enjeu et qu’ils agissent en conséquence : réduction de la circulation automobile, piétonnisation, végétalisation à grande échelle.
On ne saurait en dire autant du second : l’espace public est constamment grignoté, cédé, monétisé, menacé, selon une logique sournoise mais continue, sans que la Mairie s’en émeuve outre mesure. Et pourtant, pour la ville de demain où il fera de plus en plus chaud et dont la population aura beaucoup vieilli, des rues « marchables », aux espaces dégagés et aux larges trottoirs sont aussi indispensables qu’une bonne végétalisation.
Les kiosques parisiens et donc ceux du 18e, illustrent bien cette problématique. Lorsqu’ils ne servent plus que de porte-panneaux publicitaires, il faudrait soit les démonter, soit les adapter à d’autres fonctions présentant un intérêt réel pour les habitants du quartier. Certes, on commence ça et là, à envisager pour eux une utilité plus pratique : vente de titres de transport, recharge de portables, relais colis… Mais il reste beaucoup à faire. A quand les kiosques-fleuriste, les kiosques-bouquinerie, les kiosques-relais toilettes, les kiosques-consigne et bagagerie, etc ? Tant de projets pourraient ainsi voir le jour et par la même occasion, tant de nouvelles possibilités d’emploi et d’insertion.
Et à quand, pour le quartier Montmartre, un kiosque destiné à l’information intelligente des touristes ? En effet, la Butte n’a plus d’office du tourisme depuis que le local de la rue Drevet a fermé, il y a déjà longtemps. Par exemple, un ou plusieurs kiosques – accueillants car ouverts sur la rue – pourraient conseiller utilement les touristes, les sensibiliser au respect de l’environnement, de la propreté et éveiller leur curiosité pour d’autres visites que « le café d’Amélie Poulain », « le Mur des je t’aime » ou la place du Tertre… Idée à suivre ? Souhaitons-le. Si la Mairie veut vraiment, comme elle l’assure, lutter contre le sur-tourisme, elle doit s’en donner les moyens. •
Photo : Maxime Renaudet