Toutes les lignes de bus ne se ressemblent pas. Nous avons embarqué à bord de l’ex Montmartrobus, avec Thomas l’un de ses chauffeurs, lui-même habitant de Montmartre.
« Il faut afficher une certaine ancienneté pour être nommé ici. » Thomas Freundel, 59 ans, est l’un des 17 chauffeurs du minibus qui traverse la Butte de part en part. Il a pris le volant sur cet itinéraire au moment où le Montmartrobus devenait la ligne 40 et se voyait prolongé au sud jusqu’à Notre-Dame-de-Lorette. A la RATP depuis à peine six ans, en venant prendre son service à deux pas de chez lui il a découvert « presque un autre métier ».
« Travailler sur la 40 c’est un peu comme travailler dans une petite ville de province, résume-t-il. On repère vite les habitués. La majorité sont des gens du quartier. » Comme Alain et Dominique, habitants retraités de la rue Tardieu, qui enjambent régulièrement la Butte avec le véhicule pour se rendre à la mairie ou fréquenter les commerces de la rue du Poteau.
La ligne est très demandée par les machinistes, selon Thomas. « Pour moi, c’est la plus belle de Paris. » Il suffit de débouler en haut de la rue Lamarck, arrêt Utrillo, pour voir l’horizon s’ouvrir largement sur le ciel du moment. Bleu pommelé, gris automnal ou rose du crépuscule. « Des touristes applaudissent parfois en arrivant place du Tertre. » Ici, on est loin du stress des embouteillages, des véhicules garés en double file, ou des deux roues qui zigzaguent à toute allure. Même s’il faut parfois s’accrocher à son fauteuil dans les ruelles pentues et parfois en devers.
Un conduite technique
« C’est aussi la ligue plus difficile. » Il faut avoir la manœuvre habile dans les rues étroites. Un véhicule mal stationné, la pluie qui rend le pavé glissant, les touristes qui déambulent, imposent à Thomas une attention de tous les instants. « C’est aussi la première ligne électrique, pour laquelle il faut une conduite très technique, observe le machiniste. Tout réside dans le positionnement du véhicule au début de la difficulté. » Quelques virages comme celui de Durantin-Tholozé sont toujours spectaculaires.
A cause du Covid et de la condamnation de la porte avant, les échanges avec les passagers sont devenus moins nombreux, même si la petite taille du véhicule entretient la proximité. Le bus a maintenu son service durant le confinement. « Nous étions parfois la seule occasion de sortir pour certaines personnes, confie Thomas. Je crois qu’elles avaient compris que la police ne vérifiait pas les autorisations dans les bus. Elles en ont un peu profité. »
La ligne demeure fréquentée surtout par des Montmartrois. « Quelques touristes aussi. On les reconnaît car ils ne disent pas bonjour. Et puis des gens qui travaillent tard dans la restauration. » Mais pas de fêtards, ni l’affluence des heures de pointe. Arrivé à Le Pelletier, le circuit est pratiquement terminé. « On est obligées de descendre ici ? » demandent trois touristes italiennes au terminus. Pas la peine, le « grand huit », comme l’a surnommé un autre chauffeur de la ligne, ne fait jamais de longue pause et repart bien vite. Thomas a compté, il a accompli 2 300 « tours de manège » depuis qu’il est arrivé. •
Photo : Dominique Dugay