Alors que la session automnale du festival Traverses est annoncée, rencontre avec son fondateur, profondément ancré dans l’arrondissement.
A quelques jours du lancement de la session automnale du festival Traverses, Ricardo Suanes est sur tous les fronts. Finalisant l’exposition de ses dessins et photos, Korpus, qui vient en écho à la représentation unique des trois spectacles du 12 novembre, il met encore une fois en résonance la danse contemporaine avec des créations graphiques. Nous le rencontrons au 104, juste avant la répétition avec ses danseurs.
Quand Ricardo enlève son masque et sa casquette noirs, on découvre une belle barbe blanche de patriarche et un regard malicieux. « Je n’ai pas l’habitude de parler de moi… », avance-t-il, presque timidement. Son histoire commence au Chili, où il est diplômé d’architecture et urbanisme. Après la prise de pouvoir de Pinochet en 1973, il remporte un concours et est invité en France. « Je rêvais de poursuivre mes études à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs » dit-il, un peu songeur quant à cette époque lointaine. Il en sort également diplômé.
En 1976, l’architecte s’installe donc en France, apprend la langue qu’il parle maintenant parfaitement, avec le joli accent de son pays, commence à exercer en tant qu’architecte tout en créant et exposant dans différentes galeries, à la BNF, au Centre national de la danse, et bien d’autres lieux d’Amérique latine, des USA et d’Europe. Que ce soit pour les projets d’architecture ou d’urbanisme : « Mon envie était de travailler avec et pour les gens. Quand j’ai pu me mettre à mon compte, j’ai enfin pu proposer des projets conçus dans ce sens. »
Sauver la Goutte d’Or
A la Goutte d’Or, Ricardo vit sa première expérience marquante du collectif. Pour lutter contre l’insalubrité et les divers trafics qui y régnaient, un projet de tout raser et tout reconstruire, sur le modèle du 13e arrondissement, avait été émis par le gouvernement de Jacques Chirac. Très vite, habitants et associations se sont mobilisés pour sauver leur quartier. Une des premières victoires de ce type à Paris. Ricardo y a participé avec la construction d’un bâtiment achevé en 2007. Sur un terrain en friche de la rue Richomme, il a érigé, en dialogue avec les habitants, des ateliers d’artistes, des logements attenants, et un espace pour la création d’une fresque renouvelable.
Il s’investit ensuite dans la lutte autour de la réhabilitation de la Halle Pajol. Ici aussi la mobilisation des habitants et associations est capitale. Elle a permis de négocier l’installation d’équipements qui faisaient défaut dans cette partie de l’arrondissement, plutôt que de nouveaux logements. « La destruction de la charpente métallique de la halle, trésor architectural, me fendait le cœur. » Partie prenante de la cellule de prévisualisation, nom donné au collectif engagé dans le dialogue avec les élus, Ricardo a participé activement aux nombreuses réunions avec architectes, sociologues, maitres d’œuvres et élus pour que chaque voix soit prise en compte.
« Qu’est-ce qu’on fait après ? »
Quand la Halle a été finalisée, Ricardo Suanes avait plusieurs envies : faire participer les habitants, proposer un évènement pérenne de haut niveau artistique, qui permette l’identification du lieu, et faire vivre ses passions dans la création de formes d’art plastique en dialogue avec la danse contemporaine, dont il est un fervent amateur et connaisseur. Le festival Traverses est né et existe aujourd’hui sous sa forme bisannuelle : un temps dans l’espace public au printemps, et une représentation unique à l’automne associée à une exposition. De grands noms de la danse contemporaine y ont déjà été invités, de Thomas Lebrun à Raphaëlle Delaunay, de Christine Bastin à Ousmane Sy, récemment décédé….
Mais l’heure tourne, les danseurs arrivent pour leur répétition, on a juste le temps d’évoquer quelques projets dans l’arrondissement en profonde mutation : l’Arena, Chapelle-Charbon, Chapelle International, Gare des Mines/Fillettes… Autant de beaux projets en perspective. « On se retrouve le 5 novembre pour le vernissage de l’expo à l’auberge de jeunesse, et le 12 pour le spectacle. » Ricardo attend un public nombreux, curieux, pour partager avec lui ses passions d’artiste. •