Depuis l’explosion de la pratique du vélo dans la capitale il y a deux ans, les conflits se multiplient entre piétons et cyclistes. Ces derniers étant accusés de prendre la place des premiers sur les trottoirs ou d’ignorer délibérément le Code de la route.
La Mairie de Paris n’aurait-elle d’yeux que pour les vélos ? Alors que les pistes cyclables temporaires créées en mai 2020 vont être pérennisées et que le nombre de cyclistes ne cesse de croître, des voix se font entendre pour dénoncer une politique du tout-vélo qui serait menée par la municipalité au détriment des plus vulnérables : les piétons, malmenés par cet afflux de cyclistes peu soucieux des règles de priorité.
« La Mairie a beaucoup investi sur le vélo, en présentant ce mode de déplacement comme LE moyen de sauver la planète ! Résultat, les cyclistes se prennent pour des héros », s’emporte Mireille Quehen, membre du conseil de quartier Chapelle-Marx Dormoy et trésorière de l’association ASA-PNE (Association pour le suivi de l’aménagement Paris nord-est). « Depuis 70 ans, la ville est faite pour la voiture. On commence tout juste à rééquilibrer le partage de l’espace au profit des autres moyens de déplacement », tempère Thomas Legal, coréférent de l’association de cyclistes Paris en Selle, qui met en garde contre un discours anti-vélo qui servirait d’abord les intérêts du tout-voiture.
Les vélos, maÎtres de l’espace public ?
Parmi les principaux motifs de courroux des piétons, l’annexion des trottoirs par les cyclistes. Par exemple, quand les aménageurs installent une piste cyclable au beau milieu d’un trottoir, comme sur le redouté boulevard Barbès ou encore rue d’Aubervilliers. « Sur le pont Ordener, entre Marcadet et Marx Dormoy, on ne peut même plus se croiser. Et je ne parle même pas des poussettes », affirme la représentante du conseil de quartier.
Une critique pleinement partagée par Thomas Legal, pour qui les trottoirs doivent être sanctuarisés pour les passants. « Ces pistes sont une aberration car des traits de peinture ne constituent pas une voie cyclable. Sur le pont Ordener, il faudrait réduire les trois voies de circulation des voitures pour créer une piste assez large pour répondre à l’augmentation du trafic », préconise-t-il. Autre zone de tous les dangers, la sortie du métro Marx Dormoy où les marcheurs sont pris en sandwich entre les deux-roues, les trottinettes et les voitures. « Il y a tout à revoir, tant pour les piétons que pour les vélos ! », résume le représentant de Paris en Selle.
Les vélos utilisent également les trottoirs sans autorisation, quand la route est encombrée et ne comporte pas de piste cyclable. C’est parfois le cas rue Marcadet, sur l’esplanade Nathalie Sarraute ou encore dans la Goutte d’Or. Place Louis-Baillot, à côté du café Lomi, la fausse piste d’apprentissage dédiée aux enfants et délimitée par un simple marquage au sol crée aussi la confusion. Emportés par leur élan, certains cyclistes venant du 19e l’empruntent sans se soucier des piétons qui voudraient traverser la placette. Un point noir identifié depuis plusieurs mois par la Mairie, mais aucune date de travaux n’a pour le moment été fixée. « Ils interviendront en même temps que ceux du quartier de La Chapelle », précise Antoine Dupont, l’adjoint au maire du 18e chargé des mobilités et de la voirie. Soit au plus tôt fin 2022 : les piétons devront prendre leur mal en patience.
Améliorations programmées
« Certaines des coronapistes doivent effectivement être améliorées », reconnaît Antoine Dupont. La nouvelle piste cyclable située à la lisière du 17e devrait justement répondre aux attentes des différents usagers. Une double voie cyclable de quatre mètres de large, séparée des voitures, sera construite l’an prochain entre la place de Clichy et la porte de Saint-Ouen. Des zones dédiées aux piétons, protégées par des blocs de béton, devraient permettre de limiter les risques d’accident. Sur le boulevard Ornano, les travaux commenceront à la fin de l’année.
Autre effort consenti par la municipalité, la suppression de plusieurs dizaines de places de stationnement à Montmartre ou à la Goutte d’Or afin d’élargir les trottoirs. « Il est certain que le seul marquage au sol ne fonctionne pas. Mais modifier les feux de circulation est très complexe et revoir les sens de circulation coûte cher », plaide l’élu local.
Règles de priorité ignorées
Au-delà des problèmes de partage de l’espace public, se pose la question du comportement des cyclistes eux-mêmes. Combien d’entre eux, qu’ils soient débutants ou avertis, respectent strictement le Code de la route et notamment la priorité des piétons ? « Les cyclistes ne veulent pas s’arrêter pour ne pas perdre de temps. Pourtant la loi prévoit qu’ils doivent adapter leur vitesse à une ville dense », rappelle Mireille Quehen, évoquant également le cas des contre-sens cyclables qui surprennent encore bon nombre de piétons. « Il y a sans doute un travail de pédagogie à faire sur les règles de priorité », admet le représentant de Paris en Selle. « Cependant, plusieurs carrefours du 18e restent très dangereux pour les cyclistes, comme celui de Barbès-Rochechouart ou l’intersection Barbès-Ordener-Ornano. Ils préfèrent donc s’extraire du flux de circulation quand le feu est encore rouge ».
Alors, que faire ? Certains voudraient obliger les adeptes des mobilités douces à suivre une formation théorique et pratique. Moins pédagogique qu’un certificat ou qu’une campagne d’affichage, la verbalisation des infractions pour non-respect du Code de la route pourrait être une solution plus efficace pour réguler les comportements.
Depuis le 18 octobre, la police municipale intervient dans les rues de la capitale. « Une partie des agents sera chargée d’effectuer des contrôles du comportement des cyclistes mais aussi des sas réservés aux vélos au niveau des feux », annonce Kevin Havet, l’adjoint au maire du 18e chargé de la sécurité. Avec à la clé, une amende de 135 € en cas de non-respect du feu rouge ou de la priorité piéton par les deux-roues. Dissuasif. •
Illustration : Paul Dehedin