Un groupe de promoteurs promet monts et merveilles aux futurs acheteurs des appartements qu’ils rénovent dans trois immeubles de Montmartre. Mais derrière la façade glamour se cachent des agissements qualifiés par un élu parisien de « pratiques de cow-boy ».
Ils sont deux. Le père, Cédric, et le fils Adam, à la tête du groupe familial Cherpantier, créé en 1973, qui opère sur Paris, la banlieue et d’autres villes comme Nice. Dans les luxueuses brochures qui présentent leurs projets immobiliers, ils assurent que « leur expertise se traduit par une sélection d’adresses parisiennes des plus prestigieuses ». Ils affichent leur engagement dans une opération de mécénat au profit d’artistes parisiens, dite « Un ouvrage, une œuvre ».
Revers de la médaille, nombre des locataires des trois immeubles, 5 rue Houdon, 2 rue Robert Planquette et 13 rue Lepic où ils pratiquent la vente à la découpe, se plaignent des pressions des Cherpantier pour les faire renoncer à leur bail et déguerpir. Cette pratique, dite vente par lots, consiste à revendre par appartements des bâtiments où le promoteur fournit des « plateaux » ne comportant que les branchements en eau et électricité. Elle est encadrée par une loi de 2006, dite loi Aurillac, sensée protéger les locataires en place.
Le groupe est une société par actions simplifiées unipersonnelle (SASU) et non une société à responsabilité limitée (SARL). « Ce statut est plus souple, explique un vieux routier de l’immobilier parisien. On peut avoir un seul associé et il n’est pas nécessaire d’avoir un commissaire aux comptes. Il s’agit souvent d’une coquille vide. Chaque fois que l’on ouvre un chantier on crée une SNC, société en nom collectif, à durée limitée, en fait, une société écran. » En effet, la SNC 5 Moulin Rouge (le 5 rue Houdon), créée le 1er juillet 2018, n’a rien à voir avec le fameux cabaret. D’après ses statuts publiés sur le Net elle emploie zéro salarié et son siège est le même que celui du groupe Cherpantier dans le 16e.
Intimidation, harcèlement, menaces
Le 18e du mois a eu accès à de nombreux documents écrits – mains courantes auprès de la police, témoignages auprès des services de l’urbanisme, plaintes en justice – de locataires des trois immeubles concernés. Les méthodes sont variées, des menaces verbales ou physiques à la coupure d’électricité, d’eau ou d’Internet, en passant par les travaux et nuisances sonores incessants. Une habitante d’un des immeubles a dû aller se doucher chez sa fille en banlieue, faute de pouvoir le faire chez elle. Un autre a constaté que ses toilettes avaient été bouchées avec du ciment. Sans oublier les coups de fil à répétition, avec toujours la même litanie : « Nous allons mettre fin à votre bail. Vous allez devoir partir sans rien. » Plusieurs locataires ont craqué et accepté de mettre fin à leur bail en échange d’une compensation financière.
Pour se séparer des locataires, les promoteurs père et fils ne reculent devant rien. Ils ont ainsi ordonné à un couple âgé bénéficiant de la loi de 1948 de partir, par sommation d’huissier, alors que la loi permet la prorogation ou le renouvellement du bail pour les locataires les plus fragiles (en vertu de leurs ressources, de leur état de santé ou de leur âge). Un congé de bail a également été signifié à un habitant gravement malade.
Les élus à l’écoute
Résultat, la peur et l’omerta. Plusieurs locataires, dont certains avaient pourtant touché leur chèque de départ, n’ont pas voulu témoigner, même anonymement. Certains résistent. Un locataire a déposé plainte pour « harcèlement moral ». Un autre a lancé une action civile pour trouble de jouissance locative. Une troisième procédure a été entamée pour mise en danger de la vie d’autrui en raison du désamiantage mis en œuvre par une entreprise non habilitée et sans protection. Un chantier qui aurait entraîné la fermeture du restaurant La Midinette, au 2 rue Robert Planquette, très connu dans le quartier.
La Mairie de Paris est informée de la situation. « Nous avons été interpellés par des habitants se plaignant des pratiques problématiques du groupe. Nous entendons les locataires et les menaces vis-à-vis d’eux ne sont pas acceptables », explique Ian Brossat (PCF), élu du 18e, conseiller de Paris et adjoint au logement. « J’ai expliqué en septembre, lors d’une réunion à l’Hôtel de Ville avec Cedric Cherpantier, en présence du maire du 18e Eric Lejoindre (PS) et d’Emile Meunier (élu EELV du 18e, référent du conseil de quartier Montmartre et conseiller de Paris), que s’ils voulaient se développer sur Paris il fallait qu’ils mettent fin à ces pratiques. Des groupes plus gros qu’eux et cotés en Bourse l’ont accepté. » L’adjoint au logement rappelle qu’il a été nommé à ce poste par Anne Hidalgo en 2014, notamment « pour mettre un terme à ces ventes à la découpe qui permettent aux promoteurs de faire la culbute en revendant, pour des sommes allant de 12 000 à 15 000 €/m2 des logements vides, achetés habités 8000 €/m2 ».
La mixité sociale en péril
« La transformation de logements standards en appartements exclusifs met en péril la mixité sociale par le départ des familles populaires ou des classes moyennes », ajoute Emile Meunier. L’élu est sur « la même longueur d’onde » que Ian Brossat pour le maintien de la mixité sociale par le développement des logements sociaux grâce à l’aide financière de la Mairie de Paris. « Il faut que tous les locataires qui se sentent lésés (par les promoteurs immobiliers) soient entendus, et que, si après analyse de nos services, les faits sont établis, la justice soit saisie », dit cet élu, avocat de profession.
Les locataires des trois sites pourront faire entendre leurs griefs lors d’une réunion avec la Mairie à la mi-novembre. Quant à Cédric Cherpantier, il n’a pas répondu à nos demandes d’entretien téléphonique. •
Photo : Dominique Dugay