Les cuisines du Sacré-cœur ont abrité un artiste qui n’excelle pas qu’aux fourneaux. Sentinel Diego est un passionné de « musique urbaine », rayonnant et rollers addict.
Diego arrive à notre rendez-vous, à deux pas du Sacré-Cœur, la musique dans les oreilles. « Dans ma bulle », comme il le dit lui-même dans sa chanson du même titre. La musique est sa plus grande passion : il la crée, l’écoute, toujours en mouvement. Ce trentenaire se déplace toujours en rollers, plus qu’un mode de déplacement, c’est son quotidien, son style de vie, sans doute son tempo. L’homme est un vrai métronome, toujours en rythme.
« La musique n’est pas comme un livre, où il faut comprendre la phrase. La musique entre dans mes oreilles et ça agit tout seul », résume-t-il. « Si une personne me parle je vais être plus capté par la musique que par ce qu’on me dit. La musique nourrit l’âme, elle donne de la couleur et remplit un vide. C’est lumineux et riche, c’est une cure ! »
Il ajoute à cela, un sens de l’image et de l’esthétique qu’on retrouve dans tous ses clips, diffusés notamment sur YouTube... où l’on croit parfois apercevoir le 18e. Diego est en effet très marqué par l’arrondissement : de Pigalle à Marx Dormoy, où il réside aujourd’hui, il y a toujours habité. Quand on lui demande de nous décrire son 18e, il cite la chanson d’un autre chanteur qui a lui aussi grandi ici : « Dans ma rue », de Doc Gynéco.
Enfant du 18e
Diego arrive à Paris à l’âge de 2 ans. Il vit alors à Pigalle avec son père adoptif, Nicolas, et le compagnon de ce dernier. Le couple tient le Club club, le bar événement de la rue André Antoine. C’est là que débutent en France les premières soirées slam. Diego y fait notamment connaissance avec Grand Corps malade. Et c’est surtout là qu’il monte sur scène pour la première fois, sous l’impulsion de son père. Il commence même à rapper avec le groupe de hip-hop Sexion d’Assaut, composé de jeunes du 9e et du 18e... et à développer son propre style, qu’il qualifie de « musique urbaine ».
Lydie Quentin, fondatrice et directrice des Enfants de la Goutte d’Or (EGDO) est une amie de son père. Il fréquente l’association. « Lydie, c’était comme ma mère et c’était la seule femme dans ma vie. » Elle décrit Diego comme « [son] rayon de soleil ». A l’époque comme aujourd’hui.
Orientation
A la fin des années 1990, son père décide de tout plaquer pour partir à Cuba. Ils restent huit mois au pays de Fidel Castro, puis le projet paternel tombe à l’eau. Diego raconte avec émotion : « Quand nous sommes rentrés à Paris, nous n’avions plus rien. Le bar était vendu. Nous étions quasiment à la rue. Nous avons été pris en charge par l’association d’insertion Siloé qui nous a aidés à nous nourrir, nous loger... » L’association accompagne le père et le fils dans une insertion professionnelle. Elle amène Diego à s’orienter vers un CAP hôtellerie et restauration. Rapidement, il s’intéresse à la pâtisserie car il « préfère malaxer de la pâte que vider des poissons ou des lièvres ! » Le jeune homme travaille d’abord dans le restaurant gastronomique étoilé des Champs-Élysées, chez « Laurent », mais il n’y reste pas. Trop de stress.
Diego se dirige alors vers l’intérim. Une mission singulière lui est proposée : cuisinier de la maison d’accueil de la basilique du Sacré-Cœur (l’hôtellerie Ephrem) pour nourrir les sœurs bénédictines et les pèlerins de passage. Un soir de Noël, après dix mois d’intérim, il confectionne de belles bûches et décroche un CDI dans la foulée.
Lorsqu’on parle de Diego aux sœurs, elles reconnaissent ses facultés d’adaptation, sa gentillesse, son sens du service et sa capacité à proposer des repas « pour 10 comme pour 150 personnes ! » Comme l’exprime sœur Cécile-Marie : « Il a le souci de bien faire, de donner de la joie. Si Diego n’est pas chrétien, j’ai trouvé chez lui des valeurs humaines très profondes et une certaine innocence d’enfant émerveillé ! » Diego est apprécié pour sa délicatesse, sa bienveillance, son désir de vivre des relations de qualité, et aussi parce qu’il est très respectueux de la vie des bénédictines.
Durant ces années, il continue la musique. Il sort son premier EP cinq titres en 2013, commence une série de concerts, crée de nouvelles chansons, puis des clips. Il garde le fil… ou plutôt le rythme.
Racines
Alors qu’il travaille toujours au Sacré-Cœur, Diego arrive à l’aube de ses 30 ans. Il est temps pour lui de retrouver les pièces manquantes de son puzzle personnel. Il part au Brésil, à Salvador de Bahia, avec en tout et pour tout une photo et le nom d’un quartier. Ce qu’il sait ? Il est né dans une favela, sa mère n’avait que 16 ans au moment de sa naissance, et il a été confié par sa famille à un Français.
Quand il arrive sur place, c’est forcément un peu compliqué. Il prend un taxi et le chauffeur décide de l’aider à retrouver sa famille en allant parler aux habitants des favelas. Ils finissent par rencontrer un homme qui reconnaît la personne figurant sur la photo : c’est « Gracima de Do Pensinio ! ».
La dame s’avère en fait être sa tante. Elle le reconnaît tout de suite. Un coup de téléphone plus tard, arrivent sa mère et sa sœur. Diego fête son trentième anniversaire avec toute sa famille brésilienne. « Quel cadeau ! » Des retrouvailles qu’il raconte dans un clip conçu à peine rentré, Edna1, avec des plans réalisés à Bahia. Comme il le dit dans la chanson : « La boucle est bouclée ! » Diego retournera trois ans de suite au Brésil pour voir sa famille. Ils ont créé un groupe Whatsapp, sur lequel ils communiquent tous les jours.
Avec la Covid, Diego a perdu son poste de cuisinier et pointe désormais à Pôle emploi. Il a toujours de multiples projets autour de la musique, la perspective prochaine d’une formation en vidéo. Il crée, filme, et monte déjà lui-même ses clips. Quand on l’interroge sur ses projets ? Le son, toujours le son ! Les rollers, toujours les rollers, sur les pentes de la butte Montmartre comme dans tout le 18e et dans tout Paris. Si un jour vous voyez une fusée passer le casque plaqué sur les oreilles, dîtes vous que c’était peut-être Diego !
Photo : Dominique Dugay