Les salariés de la brasserie ont gagné ! Après treize jours de grève, un accord a été signé avec la direction du groupe Gérard Joulie qui les emploie.
La soirée de soutien aux grévistes du Wepler annoncée par l’union locale CGT du 18e s’est finalement transformée en soirée de fête. Le 17 février, un accord a permis d’obtenir des « augmentations historiques » (ou plus précisément l’application de la loi) pour les 600 salariés du groupe Gérard Joulie, propriétaire de quatorze brasseries parisiennes (1). Une victoire, dans un secteur où les rémunérations sont habituellement faibles et les conditions de travail mauvaises - et qui peine particulièrement à recruter depuis la crise sanitaire.
La brasserie chic de la place de Clichy était agitée par un mouvement social depuis le 3 février. Tous les jours, au moment du déjeuner et du dîner, les salariés du prestigieux restaurant, fondé en 1881, perturbaient le service de ce fleuron du groupe, un poids lourd des brasseries parisiennes qui compte parmi les 500 premières fortunes de France.
Dans ce lieu où ordinairement, tout n’est que luxe, calme et volupté, fréquenté jadis par de nombreux artistes, dont Picasso et Henry Miller, l’auteur de Jours tranquilles à Clichy, qui venait y admirer les prostituées, la manifestation détonait. Un piquet de grève de salariés, en chasubles rouges siglées CGT et drapeaux écarlates claquant au vent, a mené la danse avec une sono qui hurlait du Bella Ciao ou du zouk sur fond de sirène vrillant les tympans.
Salaires amputés depuis vingt ans
A l’intérieur, quelques rares clients persistaient à déguster leur plateau de fruits de mer, servis par les garçons en spencer, veste de smoking sans manches et tablier blanc. Selon Antonio Gonçalvez, délégué syndical CGT du groupe, le Wepler « tournait » avec sept stagiaires en cuisine et sept autres en salle plus quelques non-grévistes.
Il précise que « les 700 salariés du groupe ont des pertes de salaires de 5 000 à 7 000 € par an depuis vingt ans. La rémunération des salariés est estimée, selon un accord d’entreprise, à 15 % du chiffre d’affaires. Profitant des calculs liés à la rémunération au pourcentage, le groupe volait à ses salariés environ 17,5 % du salaire mentionné sur leur contrat de travail, soit environ 400 € par mois depuis plus de vingt ans. »
« Les pires procédés ont été utilisés pour baisser la rémunération et ne pas payer aux salariés ce que la justice a confirmé », ajoute le délégué. En effet, la Cour d’appel de Paris, approuvée le 13 octobre 2021 par la Cour de cassation, a condamné l’employeur à rembourser à l’ensemble des salariés de ses restaurants plus de 3,4 millions d’euros.
Menaces de licenciement
Lorsque la grève a été déclenchée, le groupe n’avait encore rien reversé aux salariés et menaçait de licenciement ceux qui étaient en litige aux prud’hommes contre lui. « Pire encore, il avait convoqué un par un les salariés pour les forcer à signer des avenants à leur contrat de travail entérinant cette baisse de salaire effective de 17,5 %. »
Le syndicat indique que les dirigeants avaient aussi « menacé de licenciement une déléguée syndicale, maître d’hôtel du Wepler, qui tentait de convaincre ses collègues de refuser de signer l’avenant au contrat de travail ».
Accord in extremis
Ce qui a fait plier la direction ? Probablement la tentative d’élargissement du mouvement aux autres établissements du groupe. Un communiqué de la CGT précisait : « Les salariés de l’Auberge DAB et du Bœuf couronné [avaient] rejoint le mouvement. »
Selon l’accord finalement signé, des améliorations ont donc été concédées : « Le personnel de service rémunéré au pourcentage va enfin pouvoir compter sur un salaire minimum garanti de 2 200 € pour les chefs de rang et de 2 600 € pour les maîtres d’hôtel. Les salariés de cuisine, rémunérés au fixe vont également bénéficier de salaires entre 1 890 et 2 400 €. » Prime de nettoyage des tenues, récupération rapide des heures supplémentaires et comptabilisation des avantages en nature (repas) sont également au menu. Reste à savoir ce qu’il adviendra des licenciements en cours, du paiement des jours de grève, et de la dette à l’égard des salariés… •
Photo : Thierry Nectoux