Le parc de la rue d’Aubervilliers est officiellement la nouvelle « scène ouverte » des usagers de drogue. Les riverains tentent de s’organiser contre une décision préfectorale qui dégrade leurs conditions de vie.
« Rendez-nous notre parc, rendez-nous notre parc ! » Une bonne centaine de manifestants défilaient ce mercredi soir autour et à l’intérieur des Jardins d’Eole. Nombre de familles avec enfants se sont époumonées avec l’énergie du désespoir, escortées de près par des agents de la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection (DPSP) de la Ville de Paris. Le but pour ces derniers : éviter le contact avec les toxicomanes qui occupent la partie nord du parc, même si on pouvait voir l’une d’eux applaudir au rythme des slogans…
En effet, depuis le 17 mai, la Préfecture de police de Paris a décidé de faire des Jardins d’Eole le point de rassemblement nocturne des toxicomanes qui hantent le nord-est parisien depuis de nombreuses années. Le parc leur est désormais ouvert jusqu’à une heure du matin (contre 20 heures pour tout un chacun). Ils sont libres d’y consommer les substances de leur choix. Puis à une heure, tout le monde dehors. Les toxicomanes sont alors rassemblés rue Riquet, à la sortie nord du parc, là où la rue enjambe les voies ferrées. D’après Eric Lejoindre, maire du 18e – qui précise qu’il n’a rien négocié avec la préfecture –, le dispositif n’aurait « pas vocation à perdurer au-delà de quelques semaines. »
Lieu emblématique
La décision fait suite à des mois de grogne de la part des riverains de la place Stalingrad, excédés par les nuisances que génère la présence des consommateurs de crack dans le quartier. Bagarres, mendicité parfois agressive, tapage nocturne, saleté des lieux… Début mai, des tirs de mortiers avaient même visé consommateurs ou dealers, sans que l’on sache à ce jour qui était à l’origine du geste. L’Etat et la Ville se sont donc entendus pour déplacer le problème, une fois de plus, deux ans après l’évacuation de la « colline du crack ».
L’ennui c’est que la décision s’abat sur un lieu très particulier, l’un des rares espaces verts du 18e, imaginé en concertation avec les habitants pour favoriser le vivre ensemble, dans un quartier multiculturel. « Auparavant c’était une friche, un lieu pollué, se souvient Daniel Vaillant, maire du 18e de 1995 à 2001 puis de 2003 à 2014 et qui est à l’origine du projet. L’idée de départ était d’ailleurs de faire un jardin de part et d’autre des voix ferrées avec une passerelle et on a déjà eu bien du mal à faire ce qui existe aujourd’hui. Maintenant on va tout gâcher. »
Le problème était certes présent depuis nombre d’années. L’alerte avait été lancée en son temps par l’architecte du parc, Michel Corajoud, lorsque les premiers usagers de drogues sont arrivés. Régulièrement, les riverains ont tenté d’alerter sur les difficultés qu’ils vivent. Ils ont multiplié les rendez-vous au commissariat, ainsi qu’avec le maire du 18e et ses adjoints. Jean-Pierre se rappelle que lors d’une de ces rencontres, promesse avait été faite d’installer une caméra au carrefour, d’organiser des rondes plus fréquentes. « Promesses qui n’ont jamais été tenues », assure-t-il. On l’a également encouragé à mener des actions médiatiques pour se faire entendre.
Mais la réponse policière n’est pas forcément la solution. « Une grande majorité des consommateurs de crack ont envie de s’en sortir », précise Sarah Vinet, coordinatrice du CAARUD de l’association Charonne, qui participe dans les jardins à des maraudes et distribue du matériel de réduction des risques. « Mais l’accès au logement est très difficile, alors que c’est un bon point de départ pour une stabilisation. »
Officiellement, les élus parisiens misent sur l’accompagnement social qui pourra être réalisé sur le site. De nombreuses associations sont en effet présentes dans et aux abords du jardin, alors qu’un arrêté préfectoral interdit désormais toute distribution à l’intention des usagers de drogue – kit de réduction des risques, nourriture… – place Stalingrad. Les travailleurs sociaux créent du lien avec les usagers de drogues, tentent d’aborder leurs problèmes d’accès au droit, aux soins, au logement, orientent vers les structures d’accueil existantes. Elles leur fournissent également du matériel de consommation propre, des masques, des préservatifs… Mais à l’heure où nous écrivons, aucuns moyens supplémentaires ne leur ont été accordés.
Prise en charge ou répression ?
Si certains riverains n’hésiteraient pas à adopter des mesures radicales, d’autres, à l’instar des associations d’aide aux consommateurs de drogues et des élus, demandent que l’on aille au-delà. « Je pense qu’il faut prendre en charge les usagers et tant qu’on n’aura pas fait ce travail il n’y aura pas d’amélioration », remarque Eric Lejoindre.
Et justement, quid des salles de consommation à moindre risque (SCMR) promises de longe date par la Mairie de Paris ? Un rapport récent de l’Inserm a confirmé l’intérêt de ces dispositifs quant à « l’amélioration de la physionomie de l’espace public, la santé des usagers et leur insertion sociale ». Quid également des lieux de repos nécessaires aux usagers de drogue qui sont avant tout des personnes en souffrance ? « Il faut réprimer le trafic et soigner les consommateurs, résume Daniel Vaillant. Il faut des lieux d’aide au sevrage et surtout, mutualiser cette prise en charge avec les communes du Grand Paris. » Le plan crack de 2019 avait prévu l’ouverture de salles de repos. Seules deux ont été créées, toutes deux… porte de La Chapelle et près des Jardins d’Eole.
A l’issue de la manifestation du 19 mai, Patrick, l’un des animateurs, a annoncé la prochaine réouverture du troc-livres, qui a fonctionné un samedi par mois durant plusieurs années dans le parc ainsi que l’organisation de pique-niques, sur les tables prévues à cet effet, tous les samedis. « Qu’il pleuve, qu’il vente, moi j’y serai », assurait-il derrière son mégaphone. A quelques mètres de lui, à quatre pattes sur la passerelle, un homme tentait de fouiller entre les lattes de bois à l’aide d’une tige de fer pour récupérer quelques miettes de stupéfiant. Mais l’objectif des manifestants est clair : récupérer cet espace public pour le plus grand plaisir des habitants. Les manifestations quant à elles se répèteront tous les mercredis.
Photo : Sandra Mignot