C’est un lieu encore secret, protégé par sa fonction : l’oratoire des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre révèle un ameublement et une décoration parfaitement originaux signés Jean et Sébastien Touret. Qui sont-ils et comment ont-t-ils gravi les pentes de la Butte ?
Ordre contemplatif fondé par une certaine Adèle Garnier en 1872, au moment de la construction de la basilique, les Bénédictines se sont installées dans différents lieux autour de la Butte, pour finir par intégrer en 1984 la cité du Sacré-Cœur. Lorsque la réfection de la chapelle noircie par le temps est décidée, la prieure Sœur Marie-Agnès qui dirige alors la communauté, fait le choix d’une décoration qui serve la contemplation, vocation du lieu. Sa demande est très précise et traduit deux passages du Nouveau Testament. Elle la confie à Jean Touret que lui a présenté l’archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger. Ce dernier vient régulièrement se recueillir chez les Bénédictines. Il a lui même commandé en 1989 le maître-autel de Notre-Dame de Paris, ainsi que des sculptures pour les piliers et des chandeliers, à cet ébéniste.
Une rencontre décisive
Jean Touret a grandi à la campagne, en Mayenne. D’abord peintre, la guerre lui permet de rencontrer le matériau qu’il travaillera toute sa vie : le bois. Fait prisonnier, il passe en effet sa captivité auprès de bûcherons à la frontière de la Tchécoslovaquie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Jean Touret et sa famille, très religieuse, s’installent dans un village de Beauce, à Marolles. Le jeune homme y rencontre des menuisiers, des vanniers, des potiers, paysans le jour, artisans le soir. Il se découvre alors un talent pour la sculpture et crée le groupement des Artisans de Marolles, avec le désir de renouer avec une civilisation plus traditionnelle, à une époque qui voit le déferlement du Formica.
Les meubles que ces artisans-artistes – regroupés en coopérative – créent, ont un succès immédiat, objets où le bois rencontre le fer forgé ou la vannerie et où apparaissent les traces des instruments qui les modèlent. La rencontre de Jean Touret, artiste profondément mystique, avec Jean-Marie Lustiger, va lui ouvrir les portes des lieux de cultes où il crée tout un corpus de maîtres-autels, de retables, de sculptures et d’objets religieux.
Abstraction en bois, métal et pierre
Jean Touret aménage complètement la chapelle du prieuré Saint-Benoît, derrière le Sacré-Cœur, assisté par son fils Sébastien avec lequel il travaille depuis 1971. Jean Touret conçoit le retable, une large plaque de cuivre habitée par les formes abstraites de la foule des croyants, rehaussée de rouge, et la croix, où le corps du Christ aux bras dressés vers le ciel est percé dans le cuivre du coup de lance qu’évoque le texte biblique de référence. Sébastien Touret imagine les candélabres linéaires, le pupitre à trois pieds si léger, le bénitier en bronze en forme de fleur, ainsi que le mobilier très sobre et géométrique qui doit accueillir les sœurs et les fidèles : lignes des chaises peintes en bois blanc, bancs également blancs, d’une extrême simplicité. Toute l’œuvre des Touret père et fils, tend et réussit à magnifier les matériaux utilisés, bois, métal ou pierre, pour en extraire ce qui fera spirituellement sens, sans imposer des images stéréotypées. L’abstraction des formes est au service de la foi. Dans ce bel ensemble, encore aujourd’hui, les quelques rares Bénédictines qui vivent là se disent très heureuses de se recueillir.