Entre fermeture des universités, cours à distance, isolement, augmentation de la précarité, troubles psychologiques, les étudiants souffrent des mesures prises pour contrer la pandémie. Dans le 18e arrondissement, l’atmosphère est particulièrement tendue.
Depuis de nombreux mois, le secteur de l’enseignement supérieur subit de plein fouet les conséquences de la Covid-19. Une situation qui touche les différentes unités présentes dans le 18e. Du centre Clignancourt de l’université Paris-Sorbonne à l’IUT Paris Diderot en passant par le CFA Stephenson, toutes ces structures tentent de s’adapter.
A la fac, tous les maux réunis
Le centre Clignancourt qui accueille près de 6 000 étudiants de première à troisième année de licence en sciences humaines (histoire, philosophie, sociologie, géographie) est fermé depuis octobre 2020. A la place, des cours à distance ont été mis en place avec une réussite très inégale. « J’ai des profs qui nous envoient les cours par mail et d’autres qui ont du mal à travailler avec les plateformes numériques », témoigne Quentin, 21 ans, étudiant en deuxième année d’histoire au centre Clignancourt. « L’adaptation des profs par rapport à la situation est très aléatoire. Même si je ne peux pas leur en vouloir, cela nous affecte directement. »
Martin, étudiant en master de mathématiques à Jussieu et résidant à Marcadet-Poissonniers, avait anticipé les difficultés. « Au moment de la rentrée universitaire, je me suis inscrit administrativement pour suivre directement les cours à distance, ce qui me permet d’avoir accès à plus de contenus que les seuls cours en visioconférence. » Malgré sa bonne volonté, il reconnaît la difficulté de suivre des cours à distance. « Même si notre génération passe beaucoup de temps sur les écrans, c’est compliqué d’être concentré sur des cours qui peuvent dépasser trois heures. » Ce constat touche la majorité du corps étudiant, plongé dans une profonde lassitude comme le constate Quentin : « On n’a plus du tout envie. »
Les syndicats étudiants dénoncent une situation qui perdure et qui ne trouve pas de solutions depuis des mois. Adrien Lienard, responsable des questions sociales à l’UNEF, pointe la responsabilité du gouvernement, qui « préfère la com aux réponses concrètes ». Le 20 janvier, à l’appel de plusieurs syndicats, l’UNEF en tête, Adrien et ses camarades ont organisé une manifestation à Paris, en direction du ministère de l’Enseignement supérieur pour défendre leurs droits. La résidente du 1 rue Descartes, Frédérique Vidal, était particulièrement visée dans le cortège. L’une des revendications phares des manifestants était un retour en présentiel.
Un retour en présentiel au cas par cas
Cette demande a été entendue par le président de la République puisque Emmanuel Macron a décrété un retour des cours à l’université un jour par semaine à compter du 25 janvier à condition de respecter un protocole strict contre la Covid-19. Si cette annonce a été accueillie positivement, dans les faits son application reste floue. Au centre Clignancourt, les partiels du premier semestre se sont achevés mi-janvier et le début du second a été décalé au 1er février. La reprise des cours en physique ne semble pas à l’ordre du jour. Le personnel n’a pas reçu de directives particulières liées à l’annonce présidentielle.
Comparé au marasme universitaire, le CFA Stephenson s’est adapté différemment. Cet établissement accompagne 1 200 jeunes de tous horizons dans des parcours professionnels en alternance. On y trouve aussi bien des aspirants bacheliers que des étudiants en BTS hôtellerie/tourisme et licence pro commerce. L’établissement a ajusté ses formations aux cours à distance avec un suivi renforcé. Ainsi, des aides numériques et un accompagnement pédagogique ont permis aux élèves de suivre leur formation sans trop de difficulté. Toujours dans cette démarche, le CFA Stéphenson a mené une enquête afin de savoir comment ses jeunes avaient vécu le premier confinement. Il en serait ressorti une appréhension positive du suivi des cours à distance.
Le centre de formation a aussi rouvert ses locaux progressivement à destination des plus précaires numériquement. Dès la rentrée de septembre, les jeunes apprentis et aspirants bacheliers ont pu reprendre les cours au moins une fois par semaine au 48 rue Stephenson.
La vie étudiante au point mort
Au-delà des difficultés à étudier dans des conditions normales, c’est toute la vie étudiante qui est bouleversée. Billy, 22 ans et qui habite à Château-Rouge, étudie l’informatique à l’ISET (Montparnasse). Habituellement, son rythme de vie alterne entre deux jours de cours à son école et trois jours en alternance dans une entreprise. « On est passé d’une routine, cours, travail, sortir pour voir des amis, aller au resto, à rester enfermé chez soi, c’est tout un mode de vie qui est bouleversé. » Billy a pu garder l’alternance avec son entreprise, mais n’a pas remis les pieds dans son école, fermée depuis la rentrée en septembre. D’une part, les problèmes de communication au sein de son établissement l’ont isolé, d’autre part, cela porte un coup à sa motivation. « Je ne connais personne dans ma classe, chacun est de son côté à suivre ses cours en visio. Ça me met dans une mauvaise phase. »
Ce changement radical a plongé de nombreux étudiants dans une grande détresse. Quentin a éprouvé le besoin d’aller voir un psychologue à la fin du premier semestre 2020. Il explique : « Cette routine ne me plaît pas, car les journées, les semaines se ressemblent. J’ai préféré voir un psy par prévention, ne pas attendre le dernier moment, avec une crise ou une dépression. »
Pour l’UNEF, le malaise est dû « à la fermeture des universités et aux conditions précaires des étudiants ». Le rapport annuel des services à la vie étudiante a révélé une augmentation de 3,69 % de la précarité. « C’est une augmentation 18 fois plus importante par rapport au reste de la population », explique Adrien Lienard. Pour répondre à cette détresse, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un « chèque santé mentale », et une augmentation du nombre de psychologues. Des réponses qui ne satisfont pas l’UNEF. « On passe d’un psychologue pour 30 000 étudiants à une pour 15 000, donc c’est pas une avancée énorme. » Ce qu’il dénonce surtout c’est une infantilisation des étudiants et des réponses partielles. « La ministre ne nous écoute pas, ne répond pas à nos revendications, elle nous méprise. Et rejette l’appellation “génération sacrifiée”, mais dans les faits, on l’est », conclut Adrien Lienard. Une situation qui pourrait s’améliorer avec la réouverture des établissements. Car, comme l’explique Martin « retourner en cours permettrait à beaucoup d’étudiants de retrouver une stabilité ».
illustration : Olga Blomme