Implantés dans le quartier de la Goutte d’Or depuis plus de trente ans, Patrick et Louise Marty donnent le goût de la musique et du spectacle vivant en mettant le plaisir en première ligne.
Louise et Patrick Marty prennent la vie à bras le corps et elle le leur rend bien, les entraînant sur des chemins qu’ils ne pensaient pas emprunter : l’Afrique, l’Asie, le Brésil, l’Irlande, mais surtout le 18e arrondissement. Ils y font partager depuis longtemps leur amour de la musique aux habitants de la Goutte d’Or, au sein des ensembles qu’ils ont créés : les ateliers instrumentaux des Trois Tambours, les P’tits Chanteurs de Barbès ou la Chorale de la Goutte d’Or.
L’histoire remonte à loin, 1984, avec déjà la musique pour décor : Louise, jeune harpiste, rencontre Patrick, jeune trompettiste, sur les bancs du Chœur de la Sorbonne où tous deux chantent. Ils ne se quitteront plus et partageront avec une joyeuse énergie les projets qui ne cessent de naître, dans la tête de l’un, de l’autre, souvent des deux en même temps, au gré de leurs nombreuses rencontres. Passées quelques années à enseigner en lointaine banlieue, ils s’installent dans l’un des quartiers de Paris qui accueillaient facilement à l’époque les jeunes couples désargentés, le 18e, rue Doudeauville, qu’ils n’ont plus quitté. Leur coup de cœur va à un logement doté d’une cave. Patrick peut y jouer de la trompette sans avoir à s’enfermer dans le placard, avec les vêtements qui amortissent le son. Outre leur lieu de vie, elle deviendra aussi le premier atelier des Trois Tambours, avec les gens du quartier : « Nous voulions développer notre propre association. On avait plein d’idées, et on savait qu’il nous fallait être libre de les réaliser, pour pouvoir accueillir tout le monde. »
La musique, possible pour tous
Les harpes de Louise avoisinent les lits de leurs enfants. On répète à la cave. L’appartement se module en fonction des besoins et il y règne une belle animation ! Le couple met tout de suite en pratique ses idées pédagogiques : faire jouer rapidement les jeunes ensemble, apprendre le solfège avec l’instrument, et partager le plaisir de la musique dans la cité. « A l’époque, on n’avait pas idée que des populations n’avaient pas accès à la musique. La demande ne se manifestait pas, parce que beaucoup de gens ne savaient pas que ça existait, que c’était possible pour tous. »
Leur premier voyage en Afrique, au Bénin, leur ouvre les yeux. « Un matin, on s’est réveillé, on a regardé autour de nous et on s’est senti hyper bien, comme si c’était chez nous ! » Ils louent une moto, sillonnent Cotonou, montent, en une semaine, de toutes pièces une chorale de 150 enfants qu’ils découvrent super motivés, et qu’ils accompagnent en musique. « On se balade toujours avec nos instruments ! » Après plusieurs voyages au Bénin – dans lesquels ils emmènent très vite les jeunes de la Goutte d’Or –, ils y construisent une école de musique et engagent des professeurs. « On a même réussi à faire venir les enfants béninois ici ! »
C’est le début d’une grande aventure qui va se poursuivre dans différents pays. Le Cambodge, où ils créent une classe de musique dans une école après avoir joué dans les temples d’Angkor et embarqué deux fois douze collégiens instrumentistes des Trois Tambours. Le Brésil, où le groupe d’adolescents qu’ils ont emmenés avec eux a joué avec un orchestre symphonique et où ils ont créé une chorale et un cours de guitare dans une favella. La Tunisie, où la Chorale de la Goutte d’Or se produit avec l’orchestre national. Lever des fonds pour tous ces projets est parfois compliqué, mais ils trouvent toujours des solutions : vendre leur miel ou des soies du Cambodge, cachetonner pour financer un voyage, convaincre les bons partenaires…
Un mélange des arts
Car ils font profiter les enfants et les adultes parisiens de ces aventures, comme en témoigne Simon Deschamps, aujourd’hui circassien et danseur. L’artiste loue l’énergie et le dévouement de Louise et Patrick, ainsi que leur approche de la musique, à l’écoute des sensibilités de chacun : « L’esprit était d’être ensemble, quels que soient les instruments, les niveaux, les générations. Il y avait cette idée d’échange, de collectif, avec eux qui ont toujours joué avec nous. Cela m’a formé. On comprend qu’il n’y a pas de petit rôle, que chacun compte. » Simon se souvient de son premier voyage au Bénin où il a joué avec les élèves de la nouvelle école, puis du deuxième. Cette fois, Louise et Patrick lui permettent de vivre sa vocation de circassien, ce qui confirme une disposition née de ces expériences de la scène, du contact avec le public, de ces arts qui se mêlent au sein d’un même spectacle et que favorisent les deux musiciens.
Ce qui l’a également marqué, c’est leur capacité « à faire vivre le quartier », en participant à tous les évènements, mélangeant les populations et n’hésitant pas à y associer des personnalités, comme Manu Di Bango ou Roula Safar. Comment résister à l’appel de Louise et Patrick ? Leur duo inhabituel, harpe et trompette, est aussi à l’origine d’un répertoire qui a séduit par exemple la danseuse Kettly Noël. Fondatrice du festival Dense Bamako Danse, elle les a conduits au Mali, au Festival des réalités, puis à Madagascar où ils gagnent ensemble le premier prix RFI Danse. Avec Kettly, ils ont fait le tour des scènes nationales africaines ! « On revient toujours avec des idées pour notre pédagogie ici. Ce sont toutes ces expériences qui nous font avancer. »
Une annexe dans le Perche
Le couple a fini par obtenir un autre lieu, rue de Laghouat, vite devenu un peu étroit pour les 250 élèves désormais inscrits dans leurs ateliers. Leur dernier projet a consisté à créer un centre musical international à Roussigny : une ferme délabrée du Perche transformée en à peine six ans en lieu culturel où ils accueillent en stage des enfants qui veulent pratiquer la musique, et organisent un festival.
« Nous, on ne demande rien au départ, ça vient à nous parce qu’on aime la rencontre. Tu vois un gamin qui te dit “je veux faire de la harpe”, ou “je veux lire les partitions comme toi”, alors tu te débrouilles pour que ce soit possible. » Leur dernière envie serait de faire venir les enfants brésiliens d’une école de « choro ». Compliqué, certainement, mais rien n’est vraiment impossible pour les Marty. « Ce qu’on aime donner, c’est de l’émotion ». C’est plus que ça, c’est du frisson !