Un vidéo-club est-il un commerce essentiel ? Les riverains de la rue Caulaincourt ont répondu un grand OUI à cette question. En créant et alimentant une cagnotte en ligne, ils ont permis à ce petit bout de Paris malmené par la crise de ne pas sombrer.
C’est l’un des derniers vidéo-clubs de Paris, passé de la cassette VHS au DVD. Successivement malmenée par Canal +, les chaînes cinéma du câble, la VOD, Netflix et consorts, puis par le téléchargement illégal, la boutique de la rue Caulaincourt est pourtant rarement vide. Lors du premier confinement, les spectateurs en manque envoyaient leur liste, puis récupéraient leur ration d’images « en loucedé ». Christophe Petit, qui a repris la boutique en 2003, s’est résigné au « click and collect ». Car ce qu’il aime, c’est discuter, communiquer. Comme sa clientèle d’habitués qui musarde dans les trois pièces en enfilade où sont soigneusement classés des trésors du septième art.
Dans l’entrée on trouve les nouveautés, la sélection du moment (des films anciens mais édités récemment) et le cinéma américain. L’ancienne courette est le domaine du cinéma français. L’arrière-boutique se divise en trois zones : cinéma du monde, films de genre (action, fantastique, horreur) et coin jeunesse.
Le maître des lieux aime à le répéter : « Je ne suis pas un algorithme. » Pas de prescription automatique pour le client indécis qui est aussi souvent un voisin qu’on a appris à connaître. La palabre avant le choix du film, la critique après font partie du plaisir. C’est plus chaleureux qu’une plateforme. Et moins cher. Ici les prix n’ont pas bougé depuis trente ans. La location coûtait alors 25 francs. Quatre euros aujourd’hui.
La belle idée d’une cagnotte
Christophe Petit a remarqué une évolution des goûts des gens ces derniers mois. Alors que les salles obscures sont fermées, une majorité se montre friande de comédies, de « feel good movies », désireuse sans doute de s’évader d’un quotidien morose. En revanche les jeunes adultes ont réagi différemment. Refusant de perdre leur temps à visionner des fadaises, ils ont réclamé des films forts, marquants, durables.
Le vidéo-club de la Butte se considère avant tout comme un commerce de quartier. Le contraire d’une chapelle élitiste. Un endroit où chacun trouvera de quoi satisfaire son appétit et sa curiosité , du série-maniaque à l’amateur de cinéma coréen en passant par les grands-parents à la recherche d’un film familial, un lieu vivant bien plus qu’un survivant d’un passé révolu. Malgré tout, ces dernières années, les clients se sont raréfiés. Aucune subvention n’est venue renflouer les caisses. Deux habitués ont donc eu l’idée de monter une cagnotte. Depuis mai dernier, 30 % des clients contactés ont fait un don sur « « Le Pot commun ». Un taux de retour exceptionnel qui témoigne bien de l’attachement des gens du quartier. Treize mille euros ont été récoltés, de quoi régler quelques mois de loyer. La cagnotte, toujours active, peut encore recevoir des dons.
Michel Gondry, un ancien gros client, s’est inspiré du lieu pour écrire « Soyez sympas, rembobinez ! » (sorti en 2008). D’autres gens de cinéma ont aussi un jour poussé la porte. Comme Lucien Jean-Baptiste, Guillaume Nicloux ou Rachida Brakni, escortée de son Eric Cantona de mari. Que Christophe Petit avait pris pour un rugbyman ! Les paillettes ne sont pourtant pas le genre de la maison. On affiche les dédicaces des vedettes mais aussi les petits mots d’excuse des clients ayant rendu leurs DVD en retard. •
Photo : Dominique Dugay