Les riverains du parc se sont intensément mobilisés pour que leur quartier ne devienne pas une salle de consommation à ciel ouvert. Médiatisation, manifestations, rencontres avec les élus, retour sur plus de six semaines d’action.
Autour des jardins d’Eole, désormais pas un jour sans qu’un riverain ne se fasse agresser. Sans parler des rixes qui éclatent entre les usagers de drogue qui occupent la partie nord du square. La présence des toxicomanes, accentuée depuis le 17 mai, avec la décision préfectorale de les rassembler ici pour une partie de la nuit, scandalise les riverains.
« De mon appartement j’ai une vue directe sur le jardin, explique Frédéric. Lors du premier confinement, je pouvais observer des gens qui erraient, un peu bizarres… Alors j’ai créé un compte Twitter et un compte Facebook où je postais des photos de ce que je voyais, de ceux qui se piquaient, qui fumaient. Au début je me demandais si je n’étais pas en train de devenir facho. Puis des gens ont commencé à commenter et je me suis aperçu que je n’étais pas le seul à trouver la situation anormale. » Au fil des mois, Frédéric a fini par devenir le porte-parole du Collectif 19, déjà très actif sur les réseaux sociaux : « Car il faut alerter la presse et montrer ce qu’il se passe. Tout le monde n’ose pas le faire de manière identifiée dans le quartier. »
De son côté, Adrien est descendu aux abords du parc le soir de la mise en place du dispositif préfectoral : « J’ai pris les contacts des élus qui étaient là. Et très vite, nous avons signalé les violences, les crackmobiles (véhicules volés servant de lieu de consommation), les cuisines à crack, etc. » Car, comme le révèle une habitante du quartier, qui depuis a lu moult ouvrages et études sur le sujet : « On devient des experts. »
Avec d’autres, Adrien travaille à proposer des activités sportives pour l’animation du parc, afin que les habitants reprennent la jouissance des lieux. « A la Mairie, on nous a dit qu’il valait mieux être une association, alors nous avons créé Renaissance Jardins Eole1. » Simultanément, sont apparus les premiers groupes de discussion en ligne où les riverains partagent photos à diffuser sur les réseaux, articles de presse ou vidéos de chaînes info, réflexions sur la situation, coups de colère… et tout l’abandon qu’ils ressentent de la part des élus qui sont considérés comme responsables de la situation.
Un tract dans l’urne
Surtout, deux jours après le lancement du dispositif, une manifestation hebdomadaire a été instaurée chaque mercredi. Pour inciter à y participer, des riverains distribuent des tracts : on frappe à la porte du voisin, on discute à la sortie des écoles. La Brasserie du Parc est un point de ralliement où l’on peut toujours récupérer tracts et affichettes. « Certains habitants mettent leur énergie à chercher à déménager. Moi je préfère m’investir dans le collectif », résume Audrey. A la veille des régionales, des pochoirs ont aussi été apposés devant les bureaux de vote. « Stop Crack Paris. Pas demain : aujourd’hui. On crack pas. » Et certains électeurs n’ont pas hésité à glisser dans l’urne un tract plutôt qu’un bulletin de vote.
Patrick, l’habitant qui a impulsé les manifestations du mercredi, a organisé une visite de la salle de consommation à moindre risque (SCMR) de Lariboisière. Des riverains en sont sortis perplexes. « En fait, c’est une incitation à consommer, considère Anne. Et elle n’est ouverte qu’en journée, alors le reste du temps les toxicomanes sont dans la rue. » Sans compter que, rassemblant des consommateurs, ces lieux attirent aussi les dealers.
En quête de solutions
Une autre option est soutenue par Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue, qui habite Marx Dormoy. Dans les années 1990, il a organisé la résistance de son quartier face au même fléau. « Pour moi, la solution ce sont les communautés thérapeutiques, mais il en existe trop peu en France. » Il s’agit de lieux de vie qui accueillent les personnes vivant avec une addiction de plusieurs mois à plusieurs années pour travailler sur leur désintoxication, leur équilibre psychique, puis un projet professionnel, la recherche d’un logement, etc.
« Mais ce n’est pas à nous de trouver les solutions, rappellent d’autres riverains sur les forums de discussion. Nous ne voulons plus vivre ainsi. C’est aux élus de gérer la situation. » Et dans le quartier, certains habitants développent une amertume : « Les associations qui défendent la SCMR, c’est leur business qu’elles défendent, alors évidemment qu’elles sont favorables à ce que d’autres soient ouvertes », entend-on régulièrement chez des riverains en colère, fatigués d’être réveillés chaque nuit par des bagarres de rue, confrontés à des personnes en errance jusque dans les parties communes de leurs immeubles, voire à des scènes de prostitution.
A l’heure où nous imprimons ce journal, le destin du parc n’est pas encore connu. Plusieurs réunions ont été organisées dans les mairies du 18e et du 19e, avec les édiles d’arrondissement et la maire de Paris, Anne Hidalgo. Celle-ci s’était engagée au micro de BFM-TV à formuler une « proposition globale au Premier ministre sur comment sortir rapidement de cette situation inacceptable aux Jardins d’Eole et notamment avec une deadline […] fin juin… Eole doit redevenir un jardin pour les riverains et les enfants. » Plusieurs lieux ont été évoqués pour déplacer les usagers de drogues durant l’été, notamment la friche Ordener-Poissonniers et celle de Bercy-Charenton. Mais les habitants du 18e et du 19e craignent que la situation stagne, avec simplement une fermeture du parc commune à tous, usagers de drogues comme riverains à 22 h. Et donc des toxicomanes en errance toute la nuit…Les riverains n’ont pourtant pas dit leur dernier mot. D’autres actions contre les décideurs publics, notamment en justice, sont en réflexion.
Photo : Thierry Nectoux