juillet-août 2021 / Porte de Saint-Ouen
Vandalisme ou hostilité ? La terrasse d’Antanak détruite
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Une terrasse arborée et ses pieds d’arbres fleuris, installés depuis cinq ans devant le siège d’Antanak, rue Bernard Dimey, ont été effacés par un commando nocturne.
« En arrivant lundi matin, la terrasse que nous avons entretenue depuis cinq ans avait disparu, des arbustes avaient été arrachés, les plantes, les bacs et les constructions en bois jetés dans les poubelles et la terre évacuée. Il ne restait que l’asphalte. C’est d’une grande violence pour nous tous », confie Isabelle Carrère, présidente de l’association Antanak. Chez les bénévoles et permanents d’Antanak, mais aussi chez ceux de l’association Adage, de l’Association pour le droit à la santé des femmes (ADSF) et de la radio Cause Commune, dont les locaux sont sur la même placette dans la rue Bernard Dimey et dont les pieds d’arbres ont aussi été saccagés, et enfin chez les habitants et usagers de ces structures, c’est la stupéfaction.
Une disparition révélatrice d’une faille
Comment en est-on arrivé là ? Pour l’heure, Le 18e du mois n’a pu recueillir que le témoignage d’Antanak. La situation actuelle serait l’aboutissement d’une montée des tensions avec certains habitants des immeubles alentour, hostiles à la présence de ces associations. « La découverte de cette hostilité a été pour nous un premier choc, nous pensions jusqu’alors avoir totalement trouvé notre place dans cette rue et ce quartier », s’étonne Isabelle Carrère. L’association, installée depuis 2016 dans ces locaux, porte un projet autour de l’accès au numérique et fait œuvre de formation, d’ouverture à la culture électronique et a accueilli sur la terrasse et dans ses locaux nombre de jeunes et de moins jeunes pour les former ou les sensibiliser aux enjeux du numérique. Plus encore, elle propose quelque 1 500 consultations par an d’écrivains publics au cours de permanences régulières et en 2020 elle a distribué, avec le soutien de la Mairie du 18e, plus de 200 ordinateurs reconditionnés à des familles pour les aider à surmonter l’épreuve de l’école à distance pendant le confinement. Tout cela n’a pas empêché ce commando nocturne, qui serait constitué de personnes d’ailleurs et aussi d’habitants du quartier, de réduire à rien ce symbole d’enracinement dans un lieu et une communauté. « Une des raisons, parmi les rumeurs qui circulent, serait que ces gens auraient été effrayés par la présence de rats, continue Isabelle Carrère, mais je pense que cela ne tient pas la route – des rats, à Paris, il y en a partout. »
Concertation et cohabitation
A la suite de la destruction, une réunion s’est tenue le 11 juin à la Maison bleue, porte Montmartre, avec les habitants et les associations. « Une habitante a pris la parole pour dire qu’il y avait trop d’associations “chez nous », se souvient Isabelle Carrère, « un “nous” dont nous, les trois directrices d’associations, femmes, blanches et ne résidant pas dans le quartier ne faisions de toute évidence pas partie. » Car ce quartier a la particularité d’accueillir dans ses pas-de-porte une grande majorité d’associations, un choix politique qui s’avèrerait donc ne pas couler de source. « C’est un vrai sujet qu’il nous faut discuter tous ensemble », admet Isabelle Carrère. C’est pourquoi, après avoir déposé plainte pour le saccage de la terrasse, Antanak s’est tournée vers la Mairie, porteuse et gestionnaire de ces choix politiques.
Les élus jouent la prudence
Une autre réunion s’est donc tenue à la mi-juin en présence de Maya Akkari, adjointe à la politique de la ville à la Mairie du 18e, Nadia Benakli, référente du conseil de quartier Moskova-Porte Montmartre-Porte de Clignancourt et Gilles Ménède, adjoint chargé des espaces verts. Les représentants des associations étaient présents ainsi que quelques habitants. « Des propos similaires à la réunion de la Maison bleue ont été entendus de la part des habitants présents : “Il y a trop d’associations”, “Nous ne sommes pas concertés”, “C’est notre cité”, rapporte Isabelle Carrère. Et la réponse des équipes municipales a été d’annoncer une réflexion sur la lutte contre la présence des rats, autrement dit une façon de botter en touche. »
Le 18e du mois s’est aussi adressé à la Mairie pour recueillir son point de vue par courriel. Aux questions – Existe-t-il un réel problème d’hygiène ou d’insalubrité ? S’agit-il d’une difficulté de cohabitation entre l’association et les/certains riverains ? Quels sont vos axes de réflexion pour améliorer la situation ? La terrasse et la végétalisation pourront-elles être remises en place ? –, voici la réponse que nous a adressée Aline Weber, directrice de la communication : « Nous pouvons vous dire à ce stade que nous allons régler le problème d’hygiène et lancer un nouveau projet de végétalisation en concertation avec les habitants et les associations du quartier. »
En attendant, pour ne pas céder à la peur et aux intimidations, Antanak a refleuri ses pieds d’arbre et remonté une terrasse lors d’un événement festif, le samedi 26 juin. •