Contrebassiste, vocaliste, compositrice, peintre à ses heures, elle arpente la planète flanquée de l’instrument qui l’a inspirée toute sa vie.
Difficile de saisir Joëlle Léandre au vol : seule sa contrebasse la suit comme son ombre. Elle revient de Norvège, repart pour le Brésil et enchainera avec le Mexique ! À 68 ans, c’est l’une des artistes les plus influentes dans le domaine des musiques improvisées et du jazz. Elle a joué avec les plus grands noms, mais c’est finalement le poissonnier de la rue Lepic qui s’inquiète de ses longues absences : « Vous étiez malade ou quoi, Madame Léandre ? »
Point d’ancrage, le 18e
S’il est un endroit où cette nomade revient toujours, c’est bien ce quartier de Montmartre qu’elle a choisi quasiment dès son arrivée à Paris, après des études de musique à Aix-en-Provence. « En 1977, je rentre à Paris, un ami me dit, “il y a un truc rue Norvins” et depuis, je n’ai jamais quitté le quartier. » 42 ans que cette musicienne habite la Butte. Elle a vécut rue Fromentin puis rue Lepic avec cette sensation, très vite, d’un village : « On combine pour avoir ses rendez-vous groupés “en bas” pour vite remonter et se retrouver “en haut” chez soi : c’est un ailleurs. » Montmartre est un vrai coup de foudre. « On peut s’y balader, ce n’est pas loin du Conservatoire, à l’époque rue de Madrid, des magasins d’instruments, c’est vraiment un quartier d’artistes et j’ai une grande curiosité de culture car on n’est pas que musicien ! Il y a aussi la peinture, les poètes, moi je me suis nourrie des surréalistes, du dadaïsme… Mais en fait, je suis une gitane, d’ailleurs un de mes ancêtres était artiste de cirque, le clown Léandre, le clown blanc ! C’est encore Pigalle, le voyage ! » Voilà ce que raconte avec volubilité celle qui a aussi vécu à Berlin, à Kyoto, deux fois à New York, un an à Buffalo, mais pour qui le nomadisme, ce n’est pas « avoir le cul dans un train ou un avion », mais c’est plus intellectuel, c’est le rapport « à des territoires, des parcelles de choses… Toute ma vie aura été un vaste chantier, et j’ai autant appris du geste polyrythmique d’un danseur, que de celui du boucher qui aime son métier ».
Les États-Unis
L’adolescente est entrée au Conservatoire de Paris à 17 ans, seule fille à avoir choisi la contrebasse. C’est déjà un manifeste. Puis une bourse d’étude la conduit aux États-Unis, un pays dont elle dit qu’il l’a libérée et révélée à elle-même : « Déjà avant de partir, j’allais au centre américain, je devais avoir 18 ans. J’allais tout écouter : le free jazz avec Bill Dixon, Anthony Braxton, l’Art Ensemble of Chicago – après, c’est marrant, j’ai joué avec eux. Il y avait aussi la danse africaine, la poésie sonore, Bernard Heidsieck, Jean-Paul Bel… »
Photo : Thierry Nectoux