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octobre 2020 / Les Gens

« Marx Dormoy m’a fait aimer paris a nouveau »

par Catherine Portaluppi

Lola Lafon est dans la vie comme sur la photo : présente et discrète, en équilibre et sur le fil, courtoise mais sans sourire inutile. Son dernier roman, Chavirer, est sur la liste finale des prix littéraires de la rentrée. Rencontre en terrasse.

A quoi tient le destin d’une écrivaine ? Comment se tisse ce rapport si particulier aux mots, aux personnages, aux livres ? Pour Lola Lafon, c’est peut-être dans une librairie de quartier et dans un rapport singulier à la France que l’histoire a commencé. Elle est née dans l’Hexagone en 1974 mais jusqu’à l’âge de 13 ans, pour elle « la France c’était un pays qui n’existait que dans les livres ». L’explication ? Elle n’a que trois semaines quand ses parents, professeurs de français, partent exercer leur métier en Bulgarie et en Roumanie. Jusqu’à l’adolescence, elle revient presque chaque année en France et à chaque séjour, la même merveille : une matinée entière dans une librairie de quartier. « On allait faire le plein de livres, c’était un vertige, en acheter autant d’un coup ! Longtemps la France était pour moi un pays de fiction, un pays qui n’existait que dans les livres… »

Retour en France

La famille revient définitivement quand elle a 13 ans. Lola Lafon se passionne alors pour la danse, comme sa dernière héroïne* : Cléo, 13 ans aussi, vivant à Fontenay-sous-Bois, dans une famille modeste, sans ambition. Cléo se rêve danseuse pro et va tomber dans les rets d’une Cathy si chic, si gentille, trop gentille, en quête de chair fraîche pour messieurs d’un certain âge.

Lola, elle, poursuit sa route, se cherche. Elle obtient un bac section danse, s’inscrit à la Sorbonne en anglais, part à New York danser et étudier l’art, revient à Paris. Continue de danser, chante dans un groupe de rock et plonge très jeune dans le militantisme. Un de ses premiers combats : la lutte contre le CPE (contrat première embauche aussi qualifié de « Smic jeune »). « J’avais besoin de faire quelque chose, pour reprendre ma vie en main, rencontrer des gens qui faisaient corps et bloc pour autre chose qu’eux-mêmes. »

Un engagement qu’on retrouve dans chacun de ses inoubliables personnages féminins : Landra, la jeune autonome antifa bouleversée par un viol dans « Une fièvre impossible à négocier », Nadia Comaneci, la gamine surdouée dans « La petite communiste qui ne souriait jamais », Patty Hearst l’héritière, la fille de milliardaire ultra-privilégiée qui bascule du côté de ses kidnappeurs dans « Mercy, Mary, Patty ». Et maintenant Cléo, engagée dans la danse et dans un long chemin vers le pardon. Car Cléo, pour préserver son rêve, a accepté de jouer la rabatteuse pour Cathy auprès de ses copines de collège.

Pourquoi construire ses livres autour de personnages féminins ? « Parce que les femmes m’ont manqué dans les romans que j’ai lus. On écrit en fait ce qu’on voudrait lire. Ce sont des femmes qui se cherchent, font des zigzags, des détours, ne disent pas tout. Pas ce que j’appelle des personnages en carton, avec une seule façade. Elles cherchent comment faire, non pas pour dépasser un problème, une difficulté, ou un traumatisme, je ne sais pas si on dépasse… mais pour avancer. C’est ce qui m’intéresse : savoir comment on se reconstruit même sur des planches brinquebalantes. »

Lola Lafon s’est construite, elle, autour d’une exigence : faire ce qu’elle aimait, la danse, la musique, l’écriture. Bien sûr il y a eu « plein de jobs pourris, vendeuse, serveuse, interprète » - elle parle roumain et anglais. « Mon idée c’était de pouvoir vivre avec peu, pour ne pas être enchaînée. J’ai choisi ce luxe de faire ce que j’aimais. »

Elle a emménagé dans le 18e, à Abbesses, il y a une vingtaine d’années. « [Cet arrondissement] fait partie de mon histoire d’adulte, c’était mon tout premier studio seule. J’aimais la présence de la Commune dans ce quartier, la cohabitation des touristes et des habitants, les petites rues où j’ai plein de souvenirs, les côtés biscornus, la géographie. J’aimais trainer au milieu des gens qui se lèvent tôt le matin et qui croisent ceux qui ne se couchent pas de la nuit. » Après un détour par le 9e, elle est revenue dans le 18e il y a deux ans « avec une sensation de bonheur inconditionnel. Paris s’est trop gentrifié. Marx Dormoy m’a refait aimer Paris, j’y ai retrouvé un souffle incroyable ! »

Prix à l’horizon ?

Aujourd’hui elle vit de son écriture, elle a le temps et elle le prend : deux ans et demi pour écrire son dernier roman. Un processus qui reste mystérieux. « J’emporte des carnets partout avec moi, j’y écris ce qui me passe par la tête, sans me censurer. C’est important de rester ouverte et de ne pas se juger. Paradoxalement quand on danse, alors qu’on s’observe sans cesse dans le miroir, on apprend à se détacher de son ego, on se regarde mais on apprend à se voir de loin. »

Ensuite, il faut travailler : « Je parcours mes carnets et souvent des images reviennent, comme une silhouette un peu lointaine qui se découvre peu à peu. Dans Chavirer c’est : qu’est-ce qui se passe quand, à 48-50 ans, un événement ressurgit du passé ? Quand j’écris, je peux prendre des fausses routes très longtemps, passer six mois à construire un caractère. C’est comme une rencontre, plus je travaille, plus je connais le personnage. Il se transforme, je lui donne de la consistance, je le comprends peu à peu. ».

Le thème des violences faites aux femmes la hante depuis longtemps. « Je me réjouis car depuis mon premier livre Une fièvre impossible à négocier, en 2003, ça a beaucoup changé. On parle de ces problèmes et même si des femmes n’arrivent pas à parler, ne peuvent pas raconter, elles savent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ne sont pas folles. Pour moi la littérature doit s’emparer de tous les terrains. »

Chavirer avance, de son côté, sur un terrain quasi conquis, avec un bel accueil critique, un vrai succès public et une promesse de prix qui la touche beaucoup : « Les prix, ça fait plaisir, heureusement on peut écrire sans en avoir, mais c’est hyper émouvant. Mes grands-parents étaient amoureux fous de la culture française, lui était Biélorusse et elle Polonaise. Mais elle ne savait pas écrire. Pour moi, c’est très impressionnant de remporter des prix. »

Photo : Dominique Dugay

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