Un collectif d’artistes s’est installé dans un immeuble à l’abandon dont la cour abrite l’ancien gymnase d’entraînement de Marcel Cerdan.
Pour la quarantaine d’artistes du collectif, l’heure est au nettoyage et au bricolage plutôt qu’à la création. Un va-et-vient incessant dans les étroits couloirs où l’un installe sa chambre, l’autre un rangement pour ses toiles, pendant que d’autres encore aménagent une vaste cuisine commune et reposent des vitres aux fenêtres avant l’arrivée de l’hiver. Dans les ateliers, le duo Tito-Mulk, deux personnes pour un seul artiste exposé un peu partout dans le monde, pressés de terminer une commande style manga. Ils ne vivent pas avec le collectif mais y occupent leur troisième atelier en deux ans. « On suit la famille, il y a une vraie énergie. »
Il règne dans le bâtiment – vide depuis sept ans – un air de fébrilité. A l’entrée, une vache quasi taille réelle, marquée Le Phare, du nom du dernier squat du collectif, accueille les visiteurs. Ce lieu a succédé à celui dit Le Post, un immeuble vide de huit étages et de souterrains dans le 9e, appartenant à la compagnie Generali, où ils avaient pu installer, en plus des ateliers, un cinéma et un skate-park.
Le boxeur ou l’oiseau
Ici ça ne sera pas possible car la quarantaine de pièces, dont une moitié est consacrée aux ateliers et le reste aux logements, sont petites. Héritage d’un hôtel à l’ancienne seules quelques chambres disposent d’une douche, les autres ne possèdent qu’un lavabo. Une ancienne pancarte précise que la douche coûtait 3 €. Les membres du collectif, qui se connaissent depuis Le Post, Le Phare et même depuis le célèbre 59 Rivoli, ont encore à choisir un nom pour leur nouvelle demeure, un nom en rapport avec le lieu.
« Le Cerdan » peut-être, en hommage à l’énorme structure délabrée de 300 à 400 m2 en bois et fer qui trône de l’autre coté d’un jardin intérieur mais qui reste interdite. Invisible de la rue, le bâtiment fut, selon la légende, la salle d’entraînement du boxeur au temps où il fréquentait Piaf. « J’aimerais qu’on s’appelle Le Geai » suggère Hugo Behregaray, artiste-plasticien franco-néerlandais qui aime le chant de l’oiseau niché dans l’arbre de la cour.
Un lieu de travail et de rencontre
La plupart d’entre eux ne sont pas de Paris où il est dur de trouver logements et ateliers. Lors de précédents squats, ils ont pu s’accorder avec les propriétaires ou signer une convention d’occupation provisoire. La condition ? Partir à la date prévue et respecter les clauses de sécurité et le voisinage. Leur seule revendication ? Le droit au logement, inscrit dans la Constitution depuis 1946.
« Ces bâtiments sont à l’abandon, on les fait revivre » poursuit le jeune artiste aux yeux clairs, tarbouch rouge vissé sur la tête. « On dépense pour améliorer le lieu, on travaille dur. Ce n’est pas légal mais c’est légitime. » De plus, laisser un collectif investir de tels lieux évite les frais de gardiennage et empêche l’installation de squats sauvages assurent-ils.
Peintres, sculpteurs, tatoueurs et autres, ils cohabitent sans hiérarchie mais non sans règles. Tout se décide par vote lors d’une réunion chaque lundi. Chacun paye 10 € par mois pour l’eau et les autres factures, chacun fait sa propre cuisine. « Les autorités sont assez cool avec nous, on nous connait, on n’a jamais créé de problèmes », dit Alexandre Gain, un serial squatteur grand et brun de 28 ans.
« C’est très dur d’être artiste quand on est jeune » ajoute Roberto Pezet, un franco-hondurien diplômé des Beaux-Arts de Cergy. « Dans le monde de l’art souvent on est entre soi. Ici je peux travailler, respirer, rencontrer d’autres artistes dans d’autres domaines. Et on vit en totale confiance, il n’y a même pas de clefs sur les portes. »
Le collectif est actuellement en discussion avec le propriétaire des lieux pour officialiser sa présence. C’est pourquoi nous ne donnons pas encore les coordonnées du lieu. Prochaine étape ? Intervenir dans le quartier et organiser des portes ouvertes. Davantage d’informations dans notre prochain numéro.