Qu’en est-il, quatre ans plus tard, du projet qui, en modifiant la carte scolaire du 18e, tente de lutter contre la fracture sociale ? Rencontre avec le principal du collège Hector Berlioz, cheville ouvrière de la mise en œuvre du projet.
Une cour ravissante, repeinte et plantée de deux arbres, aménagée avec des bancs en bois, une belle fresque réalisée l’année dernière illustrant le compositeur qui donne son nom au collège, une récréation tranquille, une école propre, aucun graffiti : en cette rentrée 2020, le collège Hector Berlioz a complètement changé de look et d’ambiance. La mixité sociale au collège serait-elle possible et même source de qualité de vie ?
Mis en œuvre il y a quatre ans, le projet de sectorisation entre les collèges Hector Berlioz et Antoine Coysevox, situés aux deux extrêmes de la carte sociale du 18e arrondissement, porte déjà ses fruits, si l’on en croit le principal du collège Hector Berlioz, Farid Boukhelifa. Pour lui, la mixité est facteur de réussite : « Quel que soit l’élève, lorsqu’il y a beaucoup de mixité sociale, il va pouvoir trouver quelqu’un qui lui ressemble, et ainsi trouver sa place. »
Un élève sur deux en bilangue
Le système qui a été adopté pour mélanger « harmonieusement » les populations des deux quartiers (différent de celui adopté pour les collèges Marie Curie et Gérard Philipe, basé sur le choix régulé1) est de réunir en un seul secteur les deux établissements et de regrouper tous les élèves d’un même niveau dans un collège. Ainsi, en 2017, tous les 6e sont rentrés au collège Coysevox et, en 2018, tous les 6e ont intégré le collège Berlioz : « On réunit tous les élèves sans discrimination, avec les mêmes équipes pédagogiques : on peut agir ainsi sur la structure du collège, c’est-à-dire obtenir un collège à deux niveaux, ce qui facilite le travail pédagogique et d’encadrement des enseignants. » Cela a permis également de passer de trois/quatre classes de 6e à neuf, et d’ouvrir trois classes bilangues (anglais et chinois, allemand et espagnol) : un élève sur deux est en bilangue. Pour favoriser davantage encore la mixité, chaque classe de 25 élèves est à moitié en bilangue, ce qui en renforce l’hétérogénéité.
Des recrutements et des locaux
Par ailleurs, le collège a recruté l’année dernière un adulte-relais, un médiateur qui connait les familles, leur culture, les us et coutumes, et est présent aux conseils de classe pour faciliter la relation avec l’école, ainsi qu’un deuxième CPE. Et cette année, après plusieurs années d’instabilité, un adjoint au principal, poste clef dans l’organisation de la scolarité, pour trois ans.
Un travail est aussi effectué sur le bâti : création d’une maison des collégiens, d’un kiosque à musique, d’un jardin pédagogique et d’une verrière végétalisée, d’un théâtre dans la salle d’art réaménagée, grâce aux projets des budgets participatifs auxquels le collège a concouru.
La bande géographique porte de Saint-Ouen-porte de Clignancourt, où se situe le collège Berlioz, est une des plus pauvres de Paris. « Il y a encore quatre ans, le collège était un ghetto pire que dans le 93 ! Le taux d’évitement était très élevé, les problématiques de voisinage nombreuses, d’où l’idée de l’expérimentation à la rentrée de 2016. Il y a eu consensus d’une majorité des acteurs, parents, enseignants, encadrants sur le mode de recrutement… Vu la réputation de Berlioz, on peut comprendre que les parents de Coysevox aient été réticents, mais c’était leur angoisse, pas celle des enfants. »
On se réjouit du positivisme du principal, mais on comprend également l’inquiétude de certains parents, leur peur du nivellement par le bas, du changement, la peur de l’autre… Surtout que la communication institutionnelle, qui a lancé le projet, n’a pas été des plus transparente, et que le comité de suivi, constitué de tous les participants, inspecteurs, principaux, élus, parents, directeurs d’école n’assure pas vraiment son travail d’accompagnement, indispensable pour un tel projet : de nombreuses demandes (mesure de la réussite scolaire, de l’ambiance…) formulées à son intention par des parents sont restées sans réponse, malgré le travail entrepris par un chercheur du CNRS, Julien Grenet, membre du comité scientifique du ministère de l’Education, plus axé sur les taux de mixité.
Casser la logique des territoires
« Nous ne sommes pas contre le projet, au contraire, mais contre la manière de s’y prendre », affirme une mère d’élève de 4e, très impliquée. La première année n’a pas été facile pour toutes les familles, surtout celle de 4e à Coysevox dont les enfants sont allés poursuivre leur scolarité à Berlioz. Des familles n’ont pas joué le jeu et ont préfèré inscrire leur enfant dans le privé, qui n’est pas inclus dans l’expérimentation.
Mais pour l’humaniste convaincu qu’est Farid Boukhelifa, la mixité construit la République, à travers la rencontre avec d’autres représentations du monde, qui finissent par transformer les points de vue : « L’entre-soi a des effets dévastateurs, c’est à l’école qu’on apprend la tolérance. Cela a permis de pacifier le territoire, en en cassant la logique chez certains gamins : les élèves qui partent de la périphérie et vont à Coysevox n’auraient jamais franchi la barrière invisible qui sépare les quartiers. Ils s’habituent à aller ailleurs, cela augmente leur estime de soi. »
Progressivement, le changement est sensible. Les incidents dans le collège ont diminué. Le nombre de conseils de discipline est passé d’une dizaine par an à 0 cette année. « Les enfants sont apaisés, respectueux, ils ont envie d’apprendre, ce mélange les stimule », assure une professeure de musique. Une autre mère d’élève est satisfaite pour sa fille, elle aussi en 4e à Berlioz : « Elle est très bien là-bas. Les enfants y apprennent le collectif, la solidarité, c’est une bonne école de la vie. Il y a tellement de propositions, les sorties, les colonies de vacances. Les possibilités d’épanouissement sont variées, pas seulement au niveau scolaire. » Autre point révélateur, la stabilité du corps enseignant, quasiment jamais absent. Et les résultats au Brevet ont augmenté de manière substantielle (de 45 % en 2015 à 90 % en 2019). « Mixer des établissements à ce point aux antipodes, c’était un pari audacieux mais qu’on a a réussi », affirme Farid Boukhelifa. Il y avait un collège à sauver, on savait qu’il y aurait des pots cassés, mais on a joué le jeu", avouent certains parents, pleinement conscients des obstacles encore à franchir. •