Une bibliothèque dans une librairie, tel est le projet original qui anime le sous-sol du Rideau rouge, à Marx Dormoy. Un lieu de culture, de rencontres, de débats et de réflexion.
La cave de la librairie Le Rideau rouge à La Chapelle abrite une bibliothèque militante, la bien nommée « Biblimili », lieu « refuge » pour découvrir des ouvrages militants hors de toute logique marchande. Mathilde nous raconte la genèse de cet espace très spécial ouvert depuis juin 2021 et dont elle est maintenant la responsable.
Tout part de la réalité du livre qui « n’échappe pas à la surconsommation » et qui, comme tout produit, « provient d’une économie globale que même les professionnels ne connaissent pas très bien ». Economie d’une industrie qui, de la déforestation à l’impression en passant par le bois et sa transformation en pâte à papier, a un fort impact environnemental. « Les livres noirs [sans illustration] sont pour la plupart imprimés en Europe, alors que les illustrés [principalement les livres jeunesse] le sont à l’étranger et souvent en Chine. » A l’envie de déconnecter le livre de cette économie de marché et de réfléchir à la circulation de cet objet s’ajoute la belle idée de partager « une boîte à outils » avec les habitants et associations du quartier autour de thèmes sociétaux et militants.
Et ça prend. Une soixantaine de personnes, adhérentes, peuvent emprunter un (à la fois) des 250 ouvrages classés par thèmes : Décoloniser, Autochtones, Apprendre et transmettre, Police et justice, Habiter et accueillir, Soin des relations, Féminisme ou encore Résistance et alternatives. A terme, ce seront 800 essais, romans, revues, DVD, BD et mangas, ainsi que « « des classiques de philo, des traités contemporains pour apprendre ensemble et échanger », qui nourriront les débats dans un esprit d’éducation populaire.
Militantisme et arpentage
En plus de « l’apéro biblimili », un lundi par mois, des rencontres ont eu lieu et se poursuivront régulièrement. Par exemple, une soirée podcast organisée par Yann Parenthoën, « le maître incontesté du documentaire sonore », chantre de la culture populaire bretonne pour « écouter, ressentir ensemble », ou une projection d’un documentaire sur Melvin Van Peebles, réalisateur africain-américain des années 1970. Mais, comme le précise Mathilde : « Si je suis la référente principale, c’est aux adhérents d’apporter des idées. »
Virgile, habitant le quartier depuis un an, a découvert la Biblimili par hasard. Il « apprécie la démarche, l’ouverture du projet, avec beaucoup d’énergie et de bienveillance, un projet assez malléable dans le respect de ce que chacun peut apporter ». « Un peu découragé de ne pas avoir de gens militants dans [son] premier cercle de connaissances », il dit « y retrouver la militance de ses années d’étudiant en sociologie autour de thèmes qui (l)’intéressent comme l’égalité sociale, le féminisme et l’écologie ». Pour lui, « la Biblimili, c’est un lieu pour rencontrer des gens qui partagent des valeurs communes et échanger, préparer des événements ». Il est d’ailleurs en train d’organiser sa première soirée d’arpentage* autour du livre La Société contre l’État de Pierre Clastres… à la suite du travail d’un groupe de jeunes, venus plusieurs samedi matins de suite, arpenter Le Capital de Karl Marx et avant un autre proposé par Mathilde autour de La Convivialité de Ivan Illich.
Mathilde et Anaïs, fondatrices du Rideau rouge, feront le bilan d’ici trois ans et, dans cet espace de temps, aimeraient déplacer la bibliothèque militante dans d’autres lieux, plus visibles, peut-être des commerces, pour mieux toucher le quartier. •
Photo : Thierry Nectoux