Architecte-urbaniste, Mohaman Haman multiplie les casquettes : guide touristique, animateur sportif, créateur d’évènements artistiques ou de loisirs, il s’engage au quotidien dans la vie de l’arrondissement.
Ce monsieur, qui couve son auditoire d’un regard vif mais parle toujours d’une voie douce a régalé en 2021 les promeneurs et les habitants autour des Jardins d’Eole, avec la construction d’une case-obus miniature. En plein quartier de La Chapelle, Mohaman Haman avait eu l’idée de faire émerger un pan de la tradition des Mousgoum, peuple implanté dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, son pays d’origine. L’activité sera d’ailleurs réitérée l’été prochain au jardin Frédéric Dard, rue Norvins. Cette fois-ci, il y construira trois cases.
Mohaman est né en 1953 à Ngaoundere. Il suit des études en lycée technique à Douala (la capitale). « A l’époque tous nos profs étaient français, se souvient-il. L’un d’eux a repéré mes talents de dessinateur et m’a encouragé. » Il débarque donc à Paris en 1976 pour y poursuivre des études en architecture. Le jeune homme est diplômé en 1984. Il est depuis inscrit à l’Ordre national des architectes français, en tant que consultant en architecture, patrimoine, urbanisme et scénographie. Rapidement, il emménage dans le 18e arrondissement. D’abord rue Norvins, dans la cité des artistes. « J’y ai côtoyé beaucoup de monde, croisé Jean Marais et même fait la queue à la boulangerie avec Dalida » se rappelle-t-il.
Un tour des HBM
Actuellement résident à La Chapelle, Mohaman suit l’actualité des réfugiés et s’investit dans un quartier qu’il affectionne particulièrement. Depuis son installation, il a milité et œuvré sur de nombreux chantiers, avec toujours le souci de l’environnement, ses ressources, ses richesses, et celui des gens qui y vivent, y ont vécu. Avec l’association CICAT (Coopération internationale pour la conservation et la promotion du patrimoine architectural traditionnel) qu’il a fondée en 1990, il concourt à la préservation et à la protection des bâtis traditionnels (en France, au Cameroun ou encore au Maroc). C’est dans ce cadre qu’il guide des balades dans Paris, comme récemment autour des portes de Clignancourt et de Montmartre. L’occasion par exemple de valoriser les habitats bon marché (HBM, ancêtres des habitats à loyer modéré) construits en briques avec des matériaux locaux.
Sportif depuis son plus jeune âge, Mohaman Haman est également un pilier actif d’une autre association, Arènes & Stade. Depuis 2002, et sans interruption sauf pour cause de Covid, il y organise des courses thématiques, alliant sport, architecture et enjeux sociétaux promouvant le sport féminin tant au niveau national (course de la journée internationale pour les droits des femmes, course internationale des femmes africaines, course du patrimoine…) ou plus local comme la Francilienne du stade des Fillettes aux arènes de Montmartre. En 2006, dans ces mêmes arènes, il a coordonné un opéra mandingue, dans le cadre des journées du patrimoine. Et ce début d’année, seront dévoilés les lauréats d’un concours de créations visuelles (peinture, dessin, photo, vidéo) qu’il a co-organisé avec la Mairie du 18e, sur le thème des terrasses éphémères.
Chassé-croisé des cultures
Dans les chantiers et activités qu’il propose, Mohaman Haman invite et incite tout un chacun à participer, à la mesure de ses moyens physiques et capacités propres. Prévenant, discret, amenant bienveillance et chaleur humaine, précis sans être directif, il donne une place égale à tous ceux qui contribuent : femmes, enfants, personnes plus âgées ou moins intégrées socialement. Que ce soit lors de ses visites ou dans ses chantiers de construction, il est au fait de chaque détail et n’hésite pas à appeler des confrères lorsqu’il a des doutes.
Grâce à sa formation initiale et ses compétences techniques il apporte sa connaissance approfondie des savoir-faire traditionnels ancestraux à différentes organisations mondiales, toujours en valorisant ce qui existe et en veillant à ce qui se fait. Il participe en tant que membre d’organisations consultatives aux réflexions et actions de l’Unesco, ainsi qu’à l’Icomos (Conseil international des monuments et sites) en France et au Cameroun.
Depuis 1980, il organise des expositions en Afrique, en France et dans le monde sur des thématiques telles que les femmes bâtisseuses, l’architecture vernaculaire, l’architecture coloniale… Il cherche à faire reconnaître les constructions traditionnelles en France et en Europe et aussi à faire découvrir à ses propres concitoyens camerounais la culture d’autres peuples bâtisseurs.
Plusieurs activités à son arc
En France, l’architecte propose des ateliers de sensibilisation à la construction en terre (dont celui qui mena à la case-obus d’Éole). Au Cameroun, il organise des visites des constructions qu’il a réalisées dans les années 1990 avec le concours des élèves en école d’architecture. Il projette des partenariats avec les écoles d’architecture locales, afin qu’elles exploitent et développent les savoir-faire du pays plutôt que d’apprendre des techniques et d’utiliser des matériaux en passe de devenir obsolètes (matériaux importés, pollutions, techniques coûteuses, etc.). Sur tous les fronts, il donne des séminaires, co-réalise des films documentaires, rédige pour des publications spécialisées. En 2013, il a même créé son entreprise de production de briques en fibres végétales solaires (photovoltaïque intégré) : Hamansolar brick sarl.
Animé de ses valeurs, de son intérêt pour les matériaux naturels et de l’artisanat en général, Mohaman Haman sait aussi profiter de la vie et se détendre. Durant ses temps de loisirs, il sillonne son quartier à pieds, de façon sportive ou plus conviviale le dimanche à la Villette avec ses deux filles dont la cadette va avoir 18 ans. Dans les prochains mois, il célébrera le deuxième Carnaval du nord-est parisien avec une case-obus en carton, portée lors de la parade. À l’aise parmi ombres et lumières, l’homme intègre les intelligences ancestrales dans chacun de ses savoir-faire, si divers. Expert et dévoué à la construction, Mohaman Haman défraie les catégorisations.
Photo : Jean-Claude N’Diaye