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Juillet-août 2022 / Libération de Paris

Le postier du 18e et les combats pour la libération de Paris

par Gilles Jeudy

Fin août, chaque année, on fête les libérateurs de la capitale. Un historien amateur a inlassablement recherché les témoins, dépouillé des milliers de documents et créé un magnifique site internet qui met à la disposition de tous des éléments sur la vie et la mort de ces héros ordinaires. Nous reproduisons ici l’article qu’il a écrit sur François Christin, un postier du 18e.

Juin 1940, Darmannes (Haute-Marne). Le colonel Beaupuis : « Vous êtes encerclés sur une circonférence de 60 kilomètres. Vous ne recevrez aucun renfort. Vous devez résister jusqu’à la mort pour sauver l’honneur de la France.  » Le colonel Beaupuis, à la tête du 149e régiment d’infanterie de forteresse et du 57e bataillon de mitrailleurs motorisés, a reçu l’ordre de tenir la région de Chaumont, Bologne, Andelot et Rimaucourt sur le flanc gauche d’une partie de la IIe armée du général Condé. En face de lui, les hommes du général Guderian. Le 14 juin, Chaumont tombe avant que les troupes s’installent. L’ennemi dépasse Bologne qu’il faut évacuer. Le 16 juin, Riaucourt est occupé, Rimaucourt attaqué mais Andelot résiste. Les Allemands proposent au colonel une reddition avec les honneurs de la guerre. Il refuse. Le 18 juin, après une forte préparation d’artillerie, ils attaquent de nouveau Andelot et le débordent par l’Est. Vers 17 h c’est fini, les troupes du colonel Beaupuis sont disloquées et submergées. Les pertes sont sévères. Plus de soixante morts rien qu’au 149e régiment d’infanterie. François Christin, 34 ans, caporal radiotélégraphiste du 57e bataillon de mitrailleurs motorisés s’est rendu… « les armes à la main ».

Pointer à la Kommandantur

Il est conduit au Frontstalag 122 de Chaumont, d’où il peut enfin donner de ses nouvelles à sa femme et à son fils âgé de trois ans, restés à Paris au 121 bis rue de Clignancourt. Une chance pour François : dans le civil, il est employé des PTT. La captivité sera relativement brève. La convention d’armistice impose à la France de remettre en état, seule, ses moyens de communication. Pour l’administration des PTT, cela concerne les relations télégraphiques, téléphoniques et la distribution du courrier. Les forces d’occupation concèdent au gouvernement de Vichy le retour de certains prisonniers indispensables à cette remise en état. Le 12 septembre 1940, le voilà libéré pour rejoindre son bureau de poste au 19 rue Duc. Bien sûr, pour obtenir ce précieux certificat, il s’est engagé à « s’abstenir de toute action hostile contre l’Allemagne et les forces armées allemandes » et devra pointer deux fois par semaine à la Kommandantur locale. François y découvre une atmosphère différente. En effet, les « communications » représentent un intérêt majeur pour les Allemands (poursuite de la guerre contre l’Angleterre, coordination des troupes dans les territoires occupés, propagande, etc.). Les PTT sont étroitement contrôlées par les services du Militärbefehlshaber (chargé du maintien de l’ordre en zone occupée) et leurs personnels instamment « priés » d’appliquer la politique de collaboration qu’entame le gouvernement de Vichy. La résistance va s’organiser petit à petit. A leurs postes, les personnels peuvent perturber les communications allemandes, détourner le courrier, prévenir les arrestations, faire traîner en longueur les travaux de réparations, renseigner. Ils vont en profiter.

La grève insurrectionnelle est déclenchée

Deux mouvements naissent : Action-PTT (qui deviendra Résistance PTT) dans les centraux téléphoniques et au service des lignes de grande distance ; Libération nationale-PTT dans les bureaux de postes, surtout dans la région parisienne. François est mandaté pour conduire la grève insurrectionnelle qui se prépare au nom de la CGT. L’état-major de Résistance PTT le nomme responsable du bureau Paris 18 à compter du 11 août. Il participe également à la constitution des milices patriotiques des PTT. Le 17 août 1944, il réunit dans la salle des facteurs tout le personnel présent : la grève insurrectionnelle est déclenchée ! Seul un chef de service s’y oppose. Il passera plus tard devant la commission d’épuration. Les postiers devront signer une feuille de présence quotidienne. Une prime de 1 000 francs, longuement revendiquée, est payée à chacun d’entre eux. Les locaux sont protégés. André Tollet, président du Comité parisien de libération, viendra s’en assurer. Les milices se lancent dans les combats avec les FFI (Forces françaises de l’intérieur).

Responsable syndical CGT des PTT

Outre la sauvegarde des entrepôts Dufayel, il faut mettre au crédit de François Christin et de ses hommes la prise de la mairie du 18e et du central téléphonique Montmartre, la défense des locaux des PTT de l’arrondissement et l’attaque de la caserne de Clignancourt attestées par le lieutenant-colonel Rino Scolari, commandant les FFI du secteur Nord. Après la Libération, François Christin reprend son poste au bureau de Paris 18, rue Duc, et y terminera sa carrière dans les années 1970, fidèle à ses engagements puisqu’il sera longtemps responsable syndical CGT des PTT. Il aura largement mérité ses médailles, lui qui ne courait pas après les honneurs et se montrait particulièrement peu bavard sur ses actions pendant la guerre. Jean-Philippe, son petit fils, les conserve précieusement depuis sa disparition, en 1997 à Antony, et aime rappeler la devise de son grand-père : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. » (Victor Hugo). La résistance PTT sera citée à l’ordre de l’Armée le 16 octobre 1945 (Croix de guerre avec palme). •

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