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mars 2021 / Le dossier du mois

Migrants : des militants toujours en action

par Laure Vogel

Jeunes et familles menacés d’expulsion, campements dans le froid glacial de ce début de février… Alors que les débats sur l’immigration sont à nouveau propulsés sur le devant de la scène médiatique, qu’en est-il vraiment de l’accès des étrangers à leurs droits ? Parole à quelques-uns de ceux et celles qui les accompagnent, jour après jour, au gré des confinements et autres restrictions.

« On ne voit que ceux qui nous sollicitent, on manque certainement les plus fragiles. » Pour Catherine Chardin, coordinatrice de la permanence inter-associative d’accueil et d’orientation pour demandeurs d’asile (LDH 18e et 19e, Amnesty International, Utopia 56 et Solidarité Wilson) à Rosa Parks, les restrictions imposées aux dispositifs d’aide bénévole invisibilisent encore les personnes et leurs besoins, face à « un Etat de moins en moins soucieux de ses obligations internationales en matière de droit d’asile et même de plus en plus maltraitant ». La permanence a ainsi connu des périodes de fermeture et fonctionne depuis le premier confinement uniquement sur rendez-vous. Maraudes et distributions bénévoles s’organisent plus difficilement et donc se font plus rares.

Entre le 17 mars et le 11 mai dernier, il y avait ceux que les riverains continuaient de voir de leurs fenêtres, ceux des campements, qui ont vécu des conditions de rue encore plus sordides qu’à l’habitude, buvant l’eau du canal de l’Ourcq faute d’accès à l’eau potable. Seize associations, dont la LDH, ont intenté un recours en justice obligeant les municipalités et le préfet à rendre accessibles les fontaines dans les squares alors fermés et à « assurer la distribution, en quantité suffisante, de masques et de gel hydroalcoolique aux personnes vivant dans les campements situés le long du canal Saint-Denis ». La deuxième proposition n’a pas été suivie d’effet si ce n’est une énième évacuation / dispersion par la force.

Les habitants des tentes ont alors connu des mises à l’abri provisoires en gymnase. En période de crise sanitaire, promiscuité, sanitaires et douches en nombre insuffisant, absence de masques ont fait courir le risque de nouveaux clusters. Certains hébergés ont ainsi évoqué des symptômes de la Covid, qu’eux ou d’autres auraient contracté. Dans les gymnases, aucune présence médicale, pas d’information, et un confinement strict avec interdiction de sortir.

Dématérialisation délétère

Pendant ce temps-là, ceux qui voulaient demander l’asile étaient dans l’incapacité de réaliser les démarches en préfecture. « Sur ce point, la crise sanitaire n’a pas changé grand-chose. Les préfectures étaient déjà devenues quasiment inaccessibles pour les étrangers. » La faute, non à la Covid, mais à la dématérialisation des prises de rendez-vous mise en place depuis 2019. Par téléphone ou par internet, le système est tout aussi inefficace. Pour les demandes et renouvellement de titres de séjour, par exemple la prise de rendez-vous se fait en ligne. Finies les files interminables pour accéder aux guichets. Sauf que derrière l’interface, il n’y a rien ! Pas de rendez-vous proposés ou alors au compte-goutte. A trois reprises depuis février 2019, une dizaine d’associations et des dizaines d’exilés, captures d’écran à l’appui, ont saisi le tribunal administratif qui a enjoint les préfectures condamnées à donner un rendez-vous aux personnes concernées. « Mais plutôt que faire cesser cette pratique, on commence à voir des recours perdus pour ceux qui n’auraient pas apporté la preuve d’un nombre suffisant d’appels infructueux. On dépense un temps et des moyens fous pour obtenir ce qui devrait aller de soi, un droit fondamental qui relève du droit d’asile », explique Catherine Chardin.

Ignorer les demandes, c’est la méthode qui semble avoir été choisie pour faire baisser les chiffres. Les demandeurs se retrouvent sans interlocuteur, à la fois dans l’injonction et l’impossibilité de faire leurs démarches. « C’est une négation des personnes. On constate une dégradation de l’état psychique et physique de ceux que l’on reçoit. » Signe dérisoire de leur usure psychologique, « ils sont démesurément heureux de recevoir un simple accueil à la permanence ». Dégradation de l’état de santé aussi. Or, en mai 2020, en pleine crise sanitaire, est entrée en vigueur une disposition qui réduit l’accès des demandeurs d’asile à l’assurance maladie. Un délai de carence de 3 mois après l’entretien en préfecture de premier accueil…

Le risque de l’irrégularité

La crainte de ne pouvoir accomplir les démarches s’avère malheureusement justifiée. Actuellement, aucun retard n’est accepté (covid ou pas). Une demande d’asile enregistrée plus de 90 jours après l’arrivée en France est classée suspecte et traitée en procédure accélérée, avec des chances d’acceptation et des moyens de recours réduits. Pour ce qui est des renouvellements de titres de séjour, le risque de basculer dans l’irrégularité est grand, ce qui n’est pas sans causer d’infinies complications dans la vie quotidienne (perte d’emploi, déscolarisation, suppression des aides sociales, etc.) et fait risquer ni plus ni moins que l’expulsion. C’est la malchance qu’a connue Sylvain (lire page 2). Son cas est tristement emblématique de la situation subie par d’autres jeunes. Apprentis boulangers, maçons ou électriciens, ils ont été pris en charge, encore mineurs, par l’Aide sociale à l’enfance. Celle-ci leur a financé une formation courte, professionnalisante, pour des métiers en tension. Puis, dès que s’arrête la prise en charge, s’ils n’ont pas pu enclencher les démarches de régularisation, l’OQTF tombe. « On investit dans l’avenir de ces jeunes, répondant aussi à un besoin de notre société, pour rien ! » s’insurge Sylvie Brod qui intervient auprès des mineurs et jeunes majeurs isolés à la permanence de l’ADJIE, boulevard de Flandre.

Car les mises en rétention préparatoires aux expulsions continuent, malgré la fermeture des frontières et les aléas de la crise sanitaire mondiale. Désormais un test PCR est imposé avant toute expulsion. Un refus vaut obstruction à la mesure d’éloignement et peut être sanctionné par de la prison ferme. Pour Yves Coleman, de RESF Paris 18e, on organise l’enfermement des étrangers à durée indéterminée, alors que la durée maximale de rétention n’a fait qu’augmenter ces dernières années (passant de 45 à 90 jours en 2018). Et le militant de citer l’exemple d’un homme qui aurait passé 6 mois sans voir la lumière du jour, alternant séjours en rétention et en détention.

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