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mars 2021 / Goutte d’Or

Dérives policières à la barre

par Sandra Mignot

Durant de nombreuses années, un policier de la BAC du 18e a profité des trafiquants du quartier. Son procès a révélé son implication dans des opérations de blanchiment d’argent, d’interpellations frauduleuses, de vols, de corruption et de trafic de drogue.

Huit ans de prison. C’était la peine requise et c’est celle qui a été prononcée le 22 février à l’encontre de celui que la juge Prévot-Desprez a qualifié de « banquier, porteur de valises, organisateur d’opérations de compensation et auteur d’abus de biens sociaux non poursuivis ». Une terrible dégringolade pour cet agent de police exerçant à la brigade anti-criminalité (BAC) du 18e dont le dossier était riche de multiples lettres de félicitations.

Sept longs après-midi ont été nécessaires à l’audience des huit prévenus (dont six policiers) pour tenter de comprendre ce qui avait bien pu se passer au commissariat de la Goutte d’Or. La présidente de la 16e chambre a interrogé policiers et délinquants (les premiers étant les prévenus et les seconds les témoins...) sur le fonctionnement de cette équipe. La position hiérarchique de Karim Mamèche ? « Il n’était pas chef de groupe mais comme c’était le plus âgé, on le suivait. » La formation pénale des agents pour présenter à la justice des procédures « propres » ? « On est tous formés sur le tas », ont répété chacun des policiers mis en cause. La pression sur les objectifs à atteindre ? « Nous devions faire 30 interpellations par mois. » Et en la matière, le groupe atteignait régulièrement l’exigence. Mais comment procédait-il ?

Coup monté raté ?

L’enquête qui a fait tomber le policier porte sur des faits courants de 2014 à 2019. Tout a commencé par une dénonciation formulée par un collègue gardien de la paix, excédé, en 2018. « Tout le monde sait qu’il prend des enveloppes. C’est grâce à ça qu’il fait des “affaires” (ndlr : qu’il obtient des interpellations). On pourrait croire qu’il a des informateurs mais ce sont des voyous qui tiennent les rues. Mamèche les “tape” et en échange, les autres sont libres », précisait son témoignage dont des extraits ont été lus lors de l’audience.

Ce jour-là, le groupe BAC venait d’interpeler deux hommes en possession de deux kilos de ce qu’il suspectait être de la cocaïne. Au commissariat, la marchandise s’était avérée de la pâte de dattes, directement importée du bled. Coup monté raté ? Tentative d’arnaque entre dealers ? Ou remplacement du contenu délictuel du paquet sur le trajet du retour ? L’audience n’a pas permis de le démontrer, même si l’un des deux interpelés, vite libéré ce jour-là, était venu témoigner. « Il y avait 1 250 € dans ma sacoche et à la sortie du commissariat il ne restait qu’un billet de 50 € », a-t-il rapporté avec assurance, depuis un box – une autre affaire l’ayant, depuis, envoyé derrière les barreaux. « Je suis allé porter plainte dès le lendemain…  »

La vie de famille, avant tout

Des mois d’enquête et d’instruction ont suivi, fouillant tous azimuts qui dans la vie, les comptes, le patrimoine de Karim Mamèche et l’activité de son groupe BAC. A l’audience, des extraits de la sonorisation des véhicules de police ont été diffusés, parfois toutes sirènes hurlantes. On a pu y entendre Mamèche proposer une « assurance » à un petit délinquant du quartier en échange d’un terrain où il pourrait dealer tranquille. On y distingue aussi ses collègues tabasser un présumé dealer alors qu’ils roulent à vive allure pour échapper à des jets de projectiles divers après une intervention musclée à proximité de la « colline du crack ». Ils reconnaissent au passage conserver certains pochons de drogue saisis sur les interpelés. Mention spéciale au chef du groupe qui s’indigne au sortir d’un restaurant de l’arrondissement que le patron leur ait fait payer l’addition. « Pas même un petit pichet offert ? Quand même il abuse. » Hormis quelques extraits de dépositions la hiérarchie demeurera d’ailleurs la grande absente de ces journées d’audience.

Karim Mamèche, aujourd’hui âgé de 47 ans, connu sous le surnom de « Bylka » (kabyle en verlan), a évolué pendant seize ans parmi les petits trafics de la Goutte d’Or. Arrivé comme ilotier dans le quartier en 2003, après y avoir effectué une partie de sa scolarité, il est entré à la BAC en 2005 et n’en est plus jamais reparti. Autant dire qu’il connaissait du monde autour de la placette Polonceau. « Vous n’en avez pas eu assez d’interpeler toujours les mêmes gens ? », interroge la présidente. « Si, c’est pour ça que j’avais postulé au groupe stups du SDPJ du 93 », a-t-il expliqué, le dos bien droit et dans la plus grande maîtrise de lui derrière la vitre du box des accusés. « Mais j’ai réalisé que ce serait trop prenant par rapport à ma vie de famille. »

Une « vie de famille » qui l’occupe beaucoup en effet. Mamèche s’est avéré le « gérant de fait » d’entreprises souvent enregistrées au nom de son père ou de ses proches (deux hôtels, une brasserie, un bar, la boulangerie dont sa femme est salariée…). Il a procuration sur les comptes. Des écoutes téléphoniques ont révélé que c’était lui qui passait commande des fournitures et donnait instructions aux salariés de ces établissements. L’homme a même reconnu prélever de l’argent dans les caisses : « Au fil de l’instruction, j’ai compris que c’était mal, mais je pensais aider mon père. »

Jamais de retraits bancaires

Et cette « vie de famille » se prolonge aussi de l’autre coté de la Méditerranée où le policier de la Goutte d’Or gère la rénovation d’un appartement « que ses proches envisagent d’acheter »… Même si… le compteur de gaz est à son nom. « Quand un certain Hacène vous appelle pour parler de travaux et du garage qui s’effondre, vous lui répondez en disant MON garage », souligne la présidente. « Oui, c’est parce que je parle au nom de la famille. » Quant à ses dépenses sur place, le policier utilisait un système – certes illégal – mais « bien connu de tout Algérien » : confier une somme en euros à un intermédiaire occulte en France, puis la récupérer en dinars de l’autre côté de la grande bleue. Plus pratique sans doute pour régler les travaux…

Côté français, le policier est propriétaire de deux appartements– rénovés sans décaisser 1 euro de son compte en banque. Compte sur lequel il n’effectue par ailleurs jamais aucun retrait. Il n’utilise pas non plus sa carte bancaire. L’homme explique qu’il gagnait au jeu et que son père lui versait chaque mois 800 €, « pour améliorer son quotidien ». Des témoignages et écoutes téléphoniques ont révélé que Bylka encaissait des chèques pour le compte de diverses personnes, parfois des collègues, ou rachetait des tickets de loterie ou de PMU gagnants… (la perquisition a permis de retrouver chez lui 2 400 € de tickets gagnants). Bref, du liquide, beaucoup de liquide transite entre ses mains.

Interpellations organisées

Si aucune preuve d’enveloppes versées par des commerçants n’a été apportée, l’instruction a cependant permis de lever un coin du voile sur cet étonnant train de vie. Parmi les nombreux amis de Bylka à la Goutte d’Or, figure l’Hindou, Ahmed Mahmoud, qui gère officiellement une entreprise en bâtiment. Assis dans le même box que le policier, il comparaissait pour corruption active, à la suite de ses propres aveux. Mahmoud avait en effet mis en place un système d’échange d’espèces contre des chèques de banque. Et n’hésitait pas à arnaquer certains clients avec… de faux chèques. Lorsque l’un d’eux, qui lui avait remis 245 000 €, est venu demander des comptes, Mahmoud a sollicité Mamèche afin de monter contre lui un de ces « coups » dont il avait le secret : trouver le moyen de déposer des stupéfiants dans le véhicule du récalcitrant, le suivre puis organiser une interpellation à la première entorse au Code de la route. En échange, Mahmoud a dit avoir versé 80 000 € à Bylka. « Pourquoi mentirait-il, puisque, purgeant une peine lorsqu’il a fait cet aveu, cela ne pouvait qu’ajouter de l’incarcération à son passif  ? » s’est étonné le procureur.

En comparution immédiate, la victime du coup monté avait écopé de dix mois fermes suivis d’une expulsion du territoire. Retrouvé au cours de l’instruction, il s’est porté partie civile. Comme deux autres délinquants dont les fouilles ont été « habillées » et les procès verbaux falsifiés, il obtiendra réparation : en plus de ses années de prison, « Bylka » a été condamné à rembourser trois victimes identifiées, solidairement avec les autres acteurs des « coups montés ». Plusieurs dizaines de milliers d’euros dont on ignore comment il se les procurera. Il est, bien sûr, interdit définitivement d’exercer la profession de policier. •

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