Sylvain et Fatimate sont tous deux scolarisés dans le 18e. D’âge et de situation différents, ils sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
« Tout d’un coup, ça fait beaucoup ! On a la sensation qu’il y a une recrudescence » confie Manu du syndicat SUD éducation.
Difficile de savoir si les expulsions sont plus nombreuses en cette période ou si ces situations dramatiques, étouffées par l’actualité de la crise sanitaire, sont revenues dans le champ des médias et des citoyens, seul moyen, en alertant les consciences, d’arrêter l’engrenage. des expulsions.
Fatimate, 11 ans, scolarisée à l’école Labori
« J’ai quelque chose à te dire. » En sortant de l’école Labori, Fatimate, élève en CM2, a discrètement alerté son instituteur et lui a avoué son inquiétude : sa famille fait partie des « dublinés », c’est-à-dire ceux que l’on renvoie vers le premier pays par lequel ils sont rentrés en Europe pour y solliciter un statut de réfugiés. Eux, c’est à Turin, en Italie, qu’ils ont « laissé leurs empreintes ». Alors, un solide comité de soutien s’est constitué et de nombreuses personnalités et citoyens solidaires, parents d’élèves ou non, se sont manifestés. Ils étaient nombreux devant l’école le 8 février pour soutenir Fatimate et ses parents. Les médias étaient là aussi, en nombre.
Depuis, l’arrêté d’expulsion – OQTF – a été attaqué par le Réseau éducation sans frontières (RESF) et les soutiens et interventions se multiplient. Grâce au courage de la jeune ivoirienne qui a su briser le silence et la peur, la solidarité s’organise à l’école Labori où elle étudie depuis un an. Elle a rejoint son père en juin 2020, avec sa mère, car elle était menacée d’excision dans son pays. Au début ce n’était pas facile mais « elle a fait de grands progrès » et son professeur souligne qu’« elle est lancée ». Rassurée, elle ne tient pas à parler de sa situation mais on ne peut que saluer sa détermination : elle vient tous les jours de Sarcelles, où la famille est logée à l’hôtel par une association, jusqu’à l’école Labori près de la porte de Clignancourt. •
Sylvain, 20 ans, scolarisé au lycée Belliard
« Je confirme être sorti du CRA mais avec la mesure d’expulsion toujours sur le dos. Merci à tous celles et ceux qui me soutiennent depuis 90 jours, dans mes pleurs et souffrances quotidiennes. Ce soutien reçu de vous n’est par rien et c’est de là que je tire ma force, patience, détermination. »
Le 28 février Sylvain, lycéen en bac pro hôtellerie-service au lycée Belliard annonçait ainsi sa libération à l’issue des 90 jours maximum de rétention autorisés par la loi. Le collectif animé par SUD éducation Paris avait alerté RESF et les interventions s’étaient multipliées pour le soutenir au niveau de l’académie de Paris et des élus.
Le jeune Camerounais, d’une famille pauvre, a quitté sa mère et est arrivé en France en 2017 où il a été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il a été scolarisé et a passé un CAP hôtellerie-restauration en 2020, avant de s’inscrire en bac pro. Entre temps, de mineur il était devenu « jeune majeur », statut tout à fait différent pour l’administration.Sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français datée de juin 2020, sa situation avait basculé lors d’un banal contrôle d’identité.
Direction : le centre de rétention administrative de Vincennes et une expulsion pour le Cameroun d’abord programmée le 31 janvier, puis le 8 février, jour de son anniversaire. Sylvain avait refusé le test PCR (obligatoire pour embarquer) deux fois et avait donc été condamné à quinze jours supplémentaires par le juge des libertés et des droits. Un sursis d’une certaine façon, face aux conditions sanitaires et humaines désastreuses des CRA. Les retenus ont « fait grève de la faim, se sont révoltés, sans attirer vraiment l’attention de l’administration ». Et Sylvain continue de s’interroger : « Pourquoi on protège les mineurs et parfois les jeunes majeurs et puis d’un coup la préfecture décide que non ? »
Le jeune homme est passé devant le tribunal administratif lors d’audiences audiovisuelles où, dit-il « on ne voit que le magistrat, sans entretien avec l’avocat commis d’office auquel on peut juste téléphoner une minute ». Son avocate « a bien défendu le dossier » mais il avait perdu tous ses recours.
Pour Sylvie Brod, travailleuse sociale à l’ADJIE, qui soutient activement Sylvain, cette mise en rétention est l’exemple d’une tendance au durcissement. « Il aurait dû recevoir un simple rappel à la loi, non une OQTF. Même dans l’hypothèse d’une OQTF, il aurait dû être assigné à résidence et non mis en rétention », explique-t-elle.
Reste à trouver le moyen de régulariser la situation et peut-être reprendre son cursus...
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Photo : Dominique Dugay