Journal d’informations locales

Le 18e du mois

mars 2020 / La vie du 18e

A peine collées, aussitôt arrachées

par Daniel Conrod

Placardées dans la nuit du 26 au 27 janvier, certaines des 1 500 affiches en hommage aux enfants juifs parisiens déportés entre 1942 et 1944 ont été arrachées.

L’histoire commence par une affiche sur laquelle on tombe par hasard rue Doudeauville. Un peu plus loin, le même jour, une autre qui lui ressemble. Sur chacune, le nom d’un enfant juif parisien raflé entre 1942 et 1944. Renseignements pris, ces affiches, évoquant des avis de décès, ont été placardées dans la nuit du 26 au 27 janvier dernier à l’entrée de nombre d’immeubles parisiens en hommage à quelque 1 500 sur les 6 200 enfants juifs parisiens arrêtés et déportés dans les camps d’extermination nazis entre 1942 et 19441.
Curiosité, acte de mémoire, intérêt depuis toujours pour ce que racontent les murs des villes…, quelques jours plus tard, nez au vent, on sillonne le quartier Chapelle-Marx Dormoy à la recherche d’autres affiches. Sans signalement a priori des immeubles concernés par cette campagne d’affichage, on part de la rue Boucry et puis on laisse faire le hasard, Doudeauville, rue de La Chapelle, Marx Dormoy, Ernestine, Poissonniers et consorts, dans un sens, puis dans un autre… De ce périple assez singulier, on rentre mal à l’aise, très mal à l’aise.
Rue Boucry, au numéro 19, à droite de la porte d’entrée de l’immeuble, la première affiche sur laquelle on tombe a sans aucun doute énervé quelqu’un vu le peu qu’il en reste. Du nom de l’enfant, un prénom, Débora. Vérification faite plus tard sur la carte interactive établie à partir du répertoire des époux Klarsfeld2, il s’agit d’une certaine Débora Fride, 8 ans. Plus loin, au 52 rue de La Chapelle, on ne reconnaît l’affiche qu’à ce qu’il reste de son liseré noir. Le reste a été arraché. Au 25 de la même rue, c’est un autre lambeau de papier blanc impossible à identifier pour qui ne sait pas ce qu’il cherche… Au 19 rue de La Chapelle, cette fois, l’affiche est entière. Le nom de Berthe Pakman, 11 ans, y est intact.
Trois affiches lacérées ou arrachées sur quatre ne font pas un sondage ni n’autorisent de conclusions définitives. Il n’empêche qu’avant de poursuivre, on voudrait en être tout à fait certain. Il se trouve que trois des cinq affiches suivantes ont été elles aussi lacérées et/ou arrachées. Qu’il en soit allé de même ces dernières semaines de la percutante campagne d’affichage contre les violences faites aux femmes n’apaise ni ne rassure. Trop de questions, trop d’intuitions, trop de rapprochements se bousculent en même temps. Est-il devenu à ce point intolérable pour quelques-uns que soit simplement entretenue à visage découvert la mémoire de 6 200 enfants juifs ? De quoi sont faites la colère, la haine, l’inconscience ou la méconnaissance historique de celles et ceux qui ont arraché ou lacéré ces affiches ? De quel avenir invivable cette colère, cette haine, cette inconscience ou cette méconnaissance historique sont-elles annonciatrices ? De quel bois sont faites nos maigres forces présentes pour empêcher que ne s’épuisent les quelques lumières de ce temps ?

Photo : Daniel Conrod

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