Que restituer, que transmettre des récits familiaux, de sa culture, de son histoire qui ne sont plus tout à fait siennes lorsque l’on est artiste, vivant en France, en exil, ou enfant d’immigré ?
Des souvenirs réinventés, des images hybrides qui se veulent un lien entre passé possible et présent certain. Silsila, dans la tradition soufiste, désigne une chaîne de transmission initiatique et spirituelle. L’exposition interroge cette continuation entre culture d’origine et vécu présent. Où est la maison de mon ami, série d’œuvres de Katâyoun Rouhi nous plonge dès l’entrée dans cette question. Des enfants égarés dans une toile immaculée, avec pour seul rappel des palmiers dont l’écorce est formée de fins écrits calligraphiés, nous invitent à poursuivre les traces de cet héritage culturel. Que ce soient des poèmes syriens noyés dans l’abstraction grâce au travail d’Himat M.Ali ou le henné utilisé comme unique médium dans les toiles de Sabrina Belouaar. Ou une représentation graphique de talismans chez Haytem Zakaria ou encore Rachid Boukharta répétant sur la toile des motifs amazigh comme une tapisserie.
Retrouver ses émotions d’enfant dans les gestes de sa grand-mère, telle est la proposition de Yasmina Benadrrahmane dans son installation vidéo. Plus prosaïque, plus politique, Ymane Fakhir dans une série de sérigraphies intitulée La part du lion
nous instruit sur l’inégalité en matière d’héritage entre femmes et hommes au Maghreb. Quant à M’Barka Amor, ses Orientales nous montrent des femmes dont les esquisses s’écoulent en larmes de sang.
Cultures enchevêtrées
Dénouer les fils du tapis pour retrouver la trame de sa construction identitaire et la fouler au pied est une interprétation possible de l’installation nommée Photos de famille jonchant le sol et réalisée par Ouassila Arras. Cet enchevêtrement de cultures passées et présentes, et l’appropriation détournée des techniques des maîtres anciens prennent la forme d’un retable, façon XVe siècle chez Maya-Ines Touam, ou de toiles pastiches de l’iconographie orientaliste chez Rayan Yasmineh. En lieu et place du motif chrétien, le photo-montage présente une nature morte où se côtoient objets traditionnels maghrébins et œuf en chocolat siglé Louis Vuitton chez l’une. Chez l’autre, on navigue entre motifs mythologiques orientaux, hyperréalisme et finesse des miniatures. Nos regards voyagent ainsi, s’égarant parfois, à la recherche des maillons de la chaîne.•
Photo : Gregory Copitet