mai 2022 / Grands travaux : un paysage urbain en chantiers
la tour des Poissonniers : nouvelle vie d’un immeuble témoin des années 60
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Bientôt transformée en cité étudiante, la tour des Poissonniers marque l’évolution de l’urbanisme de masse face aux défis contemporains.
Une vieille tour en bordure de périphérique, une verrue comme ces quartiers en comptent tant. Mais aussi une des premières tours de logement social de la capitale, produit des restructurations urbaines du nord des 17e et 18e arrondissements et de l’arrivée dans la capitale des IGH, les immeubles de grande hauteur. Elle va être complètement repensée, tant pour ses surfaces habitables que dans ses usages, avec une réflexion autour des espaces.
Cité étudiante dédiée à la musique à la danse
L’agence AUC, sise rue Marx Dormoy, est lauréate du projet. Elle est aussi à l’œuvre dans le quartier Chapelle International et se spécialise dans la revivification de quartiers sociaux ou industriels. Pour la tour des Poissonniers, elle s’est associée avec un large pool d’entreprises pour traiter les aspects de la qualité de l’air intérieur, le profil bas carbone, l’économie circulaire et le profil biodiversité. Car, tout comme Chapelle-Charbon le projet vise les normes environnementales et d’intégration sur le territoire les plus exigeantes, grâce notamment à la présence du jardin ouvert sur le quartier.
« Nous avons voulu replacer le commun, les espaces partagés au centre de la réflexion avec une ambition : permettre une vie en société et l’entraide et briser l’isolement dont peuvent souffrir les étudiants, comme on l’a vu pendant le Covid », synthétise Caroline Poulin, architecte de l’agence AUC. « Toutes les pistes ont été envisagées : étudier ensemble, se retrouver dans des espaces de repos, cuisiner ou encore partager un appartement. » Outre les logements qui seront proposés en colocation, un demi-étage accueillera une salle de travail et un autre une salle de sport. Au dernier étage, une cuisine collective donnera sur un toit-terrasse. En bas, le jardin et le village des arts mêleront aussi travail et détente. Les promoteurs du projet aimeraient faire de la nouvelle tour un pôle de sociabilité dans le quartier, en lien avec les habitants et les associations.
Elaboration collective
Pour coller au plus près de la réalité de la vie estudiantine, les espaces décrits plus haut sont nés d’une réflexion collective qui a rassemblé au cours de quatre ateliers étudiants, l’UFR de musicologie, les architectes, un atelier de sociologie connaisseur des habitats partagés et des associations de quartier. Evolution intéressante, la concertation avec les occupants et habitants, la co-conception s’invite dans les travaux préparatoires. Paris Habitat, propriétaire et maître d’ouvrage, revendique cette démarche. « Aujourd’hui, la co-construction fait partie intégrante du projet. Le fait de travailler avec les habitants est une nécessité, c’est un enrichissement », détaille Nicolas Mouyon, directeur de la construction pour Paris Habitat. « En fait, c’est toute la démarche, dite de dialogue compétitif, qui est innovante car la maîtrise d’œuvre est sélectionnée non pas par concours avec un projet arrêté et des spécifications techniques rigides mais par des propositions débattues entre maître d’œuvre et maître d’ouvrage. Ce projet emblématique pour Paris Habitat, le CROUS et la Ville de Paris soulève beaucoup d’enthousiasme au sein de nos équipes. »
Faire plus grand
La tour sera équipée de diverses extensions qui permettront d’atteindre le maximum défini par le plan local d’urbanisme (PLU) avec un traitement des façades différencié selon l’orientation. Les appartements seront agrandis par des terrasses et des balcons qui viendront recouvrir la structure. L’isolation phonique et thermique sont ainsi renforcées et le traitement de l’air est optimisé. Ainsi, la façade nord sera enrichie d’une demi-trame de 3,75 mètres de profondeur, face au périphérique et isolée par cette double peau de verre. Au-dessus de cette extension, la surface gagnée sera utilisée pour installer des jardins d’hiver.
Au pied de la tour, les rez-de-chaussée et rez-de-jardin seront transformés. Des salles de danse transparentes et de forme ovale déborderont de la façade pour s’avancer dans le jardin et effacer la frontière entre le bâti et le végétal. Des studios de répétition, semi-enterrés, en forme de "ruches, seront regroupés et disséminés dans le jardin, petites alvéoles qui s’intégreront dans la déambulation.
Couvert végétal en pied de tour
Un jardin occupe la place centrale de cet espace de création et de sérénité. Catherine Mosbach a mis toute sa passion dans cet espace qu’elle veut laisser vivre et évoluer. Installée dans le 18e depuis quinze ans, la paysagiste s’est rendue célèbre dans le monde avec des réalisations d’envergure telles que le jardin du Louvre-Lens, le jardin botanique de Bordeaux ou un Central Park de 70 hectares sur l’ancien aéroport de Taïchung à Taiwan. Le petit projet de la tour des Poissonniers l’a séduite par ses ambitions sociales, tout autant que l’amicale invitation de l’architecte Caroline Poulin et un attachement au 18e.
Si près du périphérique « le jardin en creux offrira un lieu protégé, en retrait, ancré dans l’épaisseur de la terre, il y fera frais en été et bon en hiver. Pour les étudiants, ce sera un environnement positif où l’on stimule la créativité en brisant les clivages entre les gens, la faune et la flore. » Pour densifier le couvert végétal, aux platanes originels seront adjoints des buis, des lauriers et des troènes notamment. Cerisiers et amélanchiers compléteront ce jardin de 3 200 m2.
Un projet ambitieux donc, dont l’existence doit beaucoup à la restructuration en 2007 de sa petite « sœur », la tour du Bois-le-Prêtre à la porte Pouchet. Paris Habitat avait confié le projet au trio d’architectes Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal et Frédéric Druot. Depuis, tous trois ont été décorés du prix Pritzker, l’équivalent du Nobel pour l’architecture. Souhaitons que la restructuration de la tour des Poissonniers rencontre le même succès.