Le projet de réaménagement de la Gare du Nord continue de provoquer l’opposition des associations d’usagers et habitants du secteur. Le permis de construire, délivré en juillet dernier, a suscité trois recours gracieux.
Envisagé depuis 2014, le projet Gare du Nord 2024 ne cesse d’entraîner des mécontentements. Deux associations sont engagées dans la bataille, alors que la ville a déjà négocié avec les porteurs du projet. La première, « Retrouvons le nord de la Gare du Nord » est née en novembre 2019 à l’initiative d’un collectif de citoyens d’associations parisiennes et d’Ile-de-France, pour la plupart usagers et habitants. La seconde, le Comité des habitants Gare du Nord-La Chapelle pré-existait. Si les deux associations reconnaissent la nécessité de moderniser la gare, elles soulignent également l’inadaptation et les dangers du projet baptisé StatioNord, porté par une société d’économie mixte (SEMOP)* associant la SNCF Gares & Connexions et CEETRUS, filiale immobilière du groupe Auchan, chargée de sa réalisation.
Leurs principales critiques visent la conception même du projet, qualifiée « d’irrecevable ». Dans le projet initial, la surface construite devait passer de 75 135 à 136 635 m2. Un vaste pôle d’activité, situé dans un bâtiment de cinq niveaux sur 300 m de long, comportait des commerces, des équipements privés de sports et de loisirs, dont une salle de spectacle de 2 800 places et des bureaux. La superficie commerciale globale était presque multipliée par quatre.
Un rapport d’experts…
L’opposition vise à la fois l’ampleur de l’opération et son caractère essentiellement commercial. Elle reprend et s’appuie sur le constat des urbanistes missionnés en novembre 2019 par la maire de Paris pour proposer des pistes d’amélioration. Ces quatre spécialistes reconnus considéraient « que l’étroitesse du périmètre de la SEMOP et du permis de construire et le flou qui règne sur les conditions de son insertion urbaine, constituent une des principales faiblesses du projet ». En effet, le lien avec le quartier n’apparait pas suffisamment, notamment les relations avec la toute proche Gare de l’Est et avec l’hôpital Lariboisière, lui aussi objet d’une opération d’aménagement d’ampleur.
Les experts, « indépendants et bénévoles », concluaient que le projet comportait « trop d’incertitudes et de dysfonctionnements prévisibles pour continuer comme si de rien n’était, en l’amendant par des aménagements plus ou moins mineurs ». Leur recommandation n’a guère été entendue. En février 2020, la commission chargée de l’enquête publique, a bien noté les « principales critiques portant sur son insertion urbaine et son impact sur l’environnement local ou régional ». Mais elle a délivré un avis favorable au permis de construire : « A ce stade, l’hypothèse d’une reprise complète du projet nous semble inenvisageable, au vu des délais qu’elle nécessiterait. Il nous apparaît plus judicieux de poursuivre le projet tel qu’il est défini dans la présente demande de permis de construire, ce qui permettra notamment de respecter les échéances des événements sportifs internationaux de 2023 et 2024, et d’apporter des solutions dans un délai raisonnable aux problèmes subis actuellement. »
…et des négociations post-permis
La permis délivré, la Ville de Paris a néanmoins négocié avec la SNCF Gares & Connexions, pour satisfaire au moins quelques-uns des points figurant dans le rapport des urbanistes. Un accord conclu le 23 novembre « prévoit de réduire d’environ 7 500m2 les surfaces de commerces et services du projet et d’abaisser jusqu’à 12 mètres la façade du bâtiment côté rue du faubourg Saint-Denis ». La salle de spectacle et les salles de sports privées disparaissent.
Mais un des points essentiels pour les associations n’est pas acquis. L’accord indique que la « SNCF Gares & Connexions s’engage (...) à examiner d’ici à juin 2021 la réalisation, en collaboration avec la Ville de Paris, d’une passerelle entre le boulevard de La Chapelle et le nouveau bâtiment attenant à la gare (...). SNCF Gares & Connexions mobilise 20 millions d’euros pour la réalisation de cet ouvrage ». Elles estiment qu’une promesse d’étude ne constitue en rien l’engagement espéré et indispensable pour assurer le lien avec les quartiers environnants.
Une hausse du trafic, vraiment ?
Bien décidé à ne pas abandonner l’affaire, le comité des habitants Gare du Nord-La Chapelle a déposé le 11 décembre un recours contentieux. Et « Retrouvons le nord de la Gare du Nord » réfléchit aux actions à mener en 2021. Si les associations reconnaissent dans l’accord Ville/SNCF une « avancée partielle », elles soulignent que la majorité des problèmes posés par le projet actuel est loin d’être résolue. Ainsi, « l’abandon de la séparation des flux d’entrée et de sortie » de voyageurs, inscrit dans l’accord, ne semble pas acquis, surtout pour les usagers franciliens. « Leur trajet dans la gare sera beaucoup plus long puisqu’ils devront emprunter les passerelles passant près des commerces. »
Et la justification même du projet semble de plus en plus devoir être interrogée. Elle se fonde sur un fort accroissement du trafic de voyageurs d’ici 2030 qui passerait de 700 000 par jour actuellement à 900 000. Les experts estiment cette augmentation de 30 % très surévaluée. La hausse du trafic devrait toucher prioritairement le RER et le métro, affectant surtout le pôle d’échange souterrain. Les représentants des associations font valoir que « le contexte a évolué. La crise sanitaire et sociale, le Brexit auront certainement un impact sur le trafic. Face aux faiblesses du projet et aux incertitudes actuelles, nous demandons l’ouverture d’une conférence de consensus afin de construire, avec tous les partenaires concernés, un projet alternatif fondé sur les besoins prioritaires des usagers et des habitants. On peut tout à fait prendre le temps nécessaire pour traiter correctement ce dossier, la rénovation de la gare ne faisant pas partie du dossier de candidature aux Jeux olympiques. » •
*SEMOP : société d’économie mixte à opération unique, forme de coopération institutionnelle publique-privée.