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avril 2022 / Le dossier du mois

Réfugiés ukrainiens : accueil, témoignages, initiatives

par Dominique Boutel

Durant une dizaine de jours, l’accueil des réfugiés ukrainiens arrivant à Paris, était assuré porte de La Chapelle.

La file était longue devant le 39 rue des Cheminots, centre d’accueil unique des Ukrainiens fuyant leur pays : visages fatigués de femmes, de jeunes enfants, mais aussi de jeunes hommes attendant plus ou moins patiemment qu’on les laisse entrer. « La plupart viennent d’arriver, ils étaient dans le bus ou le train toute la nuit, et certains sont partis depuis plusieurs jours » expliquait l’un des salariés de France terre d’asile, gestionnaire de cet accueil. Tout le monde ou presque a un téléphone à la main : nouvelles du pays, demandes d’informations, tentatives de s’orienter… « On est débordé », avoue ce salarié qui filtre les entrées. Des barrières ont fini par être installées pour délimiter deux files : ceux qui viennent trouver un hébergement d’urgence et ceux qui viennent remplir les papiers administratifs pour un titre de séjour.

Le nombre d’exilés augmente quotidiennement, de façon exponentielle on s’en doute : au départ, environ 200 personnes par jour, depuis le 7 mars, 400 à 500 personnes voire plus. France terre d’asile gère le flot des arrivants dans ses nouveaux locaux de la rue des Cheminots, plus spacieux que les anciens de la rue Doudeauville. Des infirmiers du Samu social accompagnent les personnes fragiles ou nécessitant des soins, ainsi que la Croix Rouge. Au rez-de chaussée, après l’accueil, l’Armée du salut organise la distribution d’en-cas et de boissons, ainsi que des paniers repas fournis par la ville. Un espace est aménagé pour permettre de prendre un peu de repos. Une zone est également organisée spécifiquement pour les enfants, avec des jeux, du matériel de dessin. Du personnel de la Ville, intervenant habituellement en centres de loisirs, encadre les activités, avec l’aide de bénévoles traducteurs. Et en attendant leur transfert, les enfants sont conduits à l’école Eva Kotchever, située à une rue de là, pour d’autres activités, avant leur nouveau départ.

Des familles et des résidents étrangers

« Comme on accueille toute personne résidant en Ukraine, il y a énormément de familles, avec les tantes, les grands-parents, les enfants, des étrangers qui travaillaient, faisaient leurs études ou étaient mariés avec des Ukrainiens », précise la responsable en communication et plaidoyer de France terre d’asile. ’Les gens viennent d’un peu partout, d’aussi loin que Karkhiv, Kyiv (Kiev), ils fuient la crainte des bombardements et de l’invasion.« La préfecture d’Ile-de-France et l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) se sont installés au premier étage des locaux, créant ainsi un lieu unique pour faciliter les démarches administratives. La situation est en effet exceptionnelle : grâce à une décision de l’Union européenne, les Ukrainiens bénéficient de la protection temporaire, une protection immédiate qui donne accès à toute une série de droits : santé, aide sociale, accès au marché du travail et à l’éducation. On remet donc immédiatement à toute personne citoyenne ou résidant en Ukraine un »récépissé" équivalent d’un titre de séjour et valable un an, puis six mois renouvelables deux fois et une carte sur laquelle sera versée par l’État l’allocation de demandeur d’asile. Certaines familles, résidant en banlieue, sont réorientées vers les mairies concernées pour les démarches administratives.

Avant d’arriver rue des Cheminots, la Croix Rouge, qui fait la veille aux gares de l’Est et du Nord, a accueilli ceux qui débarquent par le train ou en autocar. Les arrivants sont conduits jusqu’au centre d’accueil dans des bus mis à disposition par la RATP. Une fois les premières démarches effectuées, avec l’aide de traducteurs bénévoles, ils sont dirigés soit chez des amis ou de la famille, soit vers des hébergements d’urgence, principalement des hôtels répartis en Ile-de-France, gérés pour la plupart par des associations. Mais ces derniers risquent d’être un peu plus précaires à terme, faute de lits. A priori, selon les responsables, aucun Ukrainien ne dort à la rue. Ceux qui arrivent en dehors des horaires d’ouverture sont orientés par le personnel de la Croix Rouge, présent 24h/24 à la gare de l’Est vers un hébergement pour la nuit (gymnase Bercy ou Marie Paradis).

Des bénévoles en soutien

La structure reposait sur un nombre croissant de bénévoles d’origine ukrainienne ou russophones : « Sans eux, on ne pourrait pas travailler puisque la majorité des gens ne parlent ni français ni anglais », précise la responsable. Ainsi Dimitro se tient près de l’entrée : depuis le début de la guerre, avec quelques amis, il cherchait comment aider. Il a donné son adresse et a fini par être contacté pour servir de traducteur. Il franchit timidement le barrage des gardiens.

Près des cars qui transportent, les uns les familles les autres les célibataires, vers les hôtels, Olivia passe du français à l’ukrainien depuis le matin : elle est en France depuis longtemps et a profité d’un congé pour venir prêter main forte aux nouveaux arrivants, leur expliquer où ils vont, ce qu’ils doivent faire, ce qui va se passer pour eux dans les jours à venir. Sa bienveillance, son sourire rassurent rapidement et elle donne manifestement des réponses aux questions chargées d’angoisse. Elle tape l’adresse de l’hôtel sur les smartphones, monte dans les cars pour expliquer et ré-expliquer. Selon elle, ce serait mieux organisé en Pologne et en Allemagne…

Cet autre bénévole, qui tait son nom, a étudié sept ans à Paris. Il a répondu à un mail envoyé à tous les étudiants par la Mairie de Paris, a pris un congé, et s’est d’abord retrouvé à l’ambassade d’Ukraine où il orientait les arrivants vers les bonnes démarches administratives : « Les gens arrivent sans connaissance des règles, sans savoir que la France peut aider », explique-t-il dans un français presque parfait. « La première question qu’ils posent, c’est “comment je peux travailler ?”, poursuit-il. C’est comme les premières migrations russes après la Révolution. » Sa famille est en Ukraine, son père a décidé pour le moment d’y rester « pour construire » dit-il. Ils habitaient la région de Donetsk et ont déjà été des « réfugiés internes en Ukraine. Ils ont quitté parce que « le » Poutine arrivait , et que là où il est, c’est le cauchemar ».

photo Jean-Claude N’Diaye

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