Sans être un « poulbot », un enfant des rues, il a pourtant joué avec eux et a grandi au cœur de Montmartre, qu’il n’a jamais quitté longtemps.
Même si sa vie de chef d’orchestre l’a conduit à faire de nombreuses fois le tour de la planète, Jean-Claude Casadesus adore Montmartre : « Une grande partie de ma famille y est née. Mon grand-père me racontait qu’il allait chercher le lait dans les fermes de Montmartre et quand j’avais dix ans, je m’accrochais derrière les voitures à cheval qui transportaient les bidons en métal ». Il a 5 ans en 1940, fréquente l’école maternelle de la rue d’Orsel, puis l’école communale de Foyatier. « Je me souviens des rafles de mes amis juifs comme si c’était hier ! » rappelle-t-il avec gravité. Il va au lycée Jacques Decour. Le quartier est populaire, ce qui va certainement participer à la construction de sa conscience sociale de musicien.
Héritage musical
On comprend cet amour pour l’endroit où il vit, quand on observe, depuis son balcon de la rue de Steinkerque, la vue que l’on a de Paris, mais aussi de la Butte qui s’étend au pied de l’immeuble où s’est installée sa famille en 1911. Une famille prestigieuse : son grand père Henri, reçu par Tolstoï dans sa datcha, fondateur de la Société des instruments anciens, « dont Camille Saint-Saëns fut le premier président ». Sa mère, Gisèle, comédienne et sociétaire de la Comédie française, née dans cet appartement. Un oncle et une tante, Robert et Gaby, pianistes de grand talent. Dans ces pièces qu’il habite à présent, sont venus les compositeurs Camille Saint-Saëns, Rimski-Korsakov, Gabriel Fauré « qui poussait maman dans son landau », Honegger, avec lequel, enfant, il partage sa passion des locomotives. Dans cette ambiance, comment échapper à la musique ?
Parcourir le monde
Mais la route est parfois sinueuse. La famille n’est pas riche et le jeune homme décharge des camions, vend des montres, pour participer à l’économie familiale. Une photo en noir et blanc, qu’il déniche, le montre vers 4 ans, jouant du violon. L’étude en sera rude et aurait pu le dégoûter de la musique. Quand sa grand-mère, harpiste, l’emmène écouter un orchestre symphonique, son rêve se précise : il sera chef d’orchestre. Au conservatoire il étudie l’analyse musicale, la direction d’orchestre, les percussions et le piano. Ceci lui permet de vivre des expériences musicales extraordinaires, naviguant entre les genres : « A quatorze ans, j’avais un orchestre de jazz, j’ai joué de l’orgue pour un vieux curé qui contre quelques messes, me permettait de travailler six ou sept heures par jour. » L’orgue fait parfois entendre tout un orchestre symphonique, et sa vocation commence à se construire. Le quartier se prête à la musique. « Beaucoup de musiciens y habitaient », aime rappeler Jean-Claude Casadesus. Poulenc, Sauguet, Darius Milhaud, Honegger, les sœurs Boulanger… « J’allais à la bourse aux musiciens de Pigalle. Nous étions une centaine sur le terre-plein, qui cherchions à récolter un “gala” pour le samedi ou le dimanche. » Le jeune musicien peut se retrouver dans un orchestre de variété, faire le bœuf dans un club, ou être engagé pour un enregistrement. Il manie aussi bien les timbales de l’orchestre Colonne, dirigé par les plus grands chefs, le vendredi et le samedi soir, que la batterie, et se retrouve à jouer avec Aznavour, Brel ou Piaf. « J’ai beaucoup appris : la pulsation, le groove. On doit aussi faire swinguer la musique dans Beethoven, Berlioz, Mozart... ». Quelle école de la musique que cette période ! Pourtant, le jeune virtuose a hésité : « J’ai voulu être comédien ; j’ai fait Sciences Po et voulu être grand reporter pour aller sur les points chauds du monde ; finalement, j’y suis allé, mais en musique ».
En 1976, Jean-Claude fonde l’Orchestre national de Lille qu’il dirige durant quarante ans, et avec lequel il va défendre une façon originale de partager la musique : réhabiliter le répertoire français, faire d’une formation régionale un orchestre à vocation internationale, et surtout, de façon novatrice, l’emmener jouer dans les usines, les prisons, les écoles. « Je voulais créer du lien social à travers le beau… » Il croit profondément que la rencontre avec l’art, la musique en particulier, aide à se construire : « La musique est le respect des valeurs. »
Toujours passionné et actif
A 85 ans, Jean-Claude Casadesus reste très actif. Souvent sollicité pour son expertise, il dirige plusieurs fois par an l’Orchestre national de Lille et est invité par des orchestres du monde entier. Il rentre d’un concert aux Canaries où il a pu, dans le respect des gestes barrières, diriger la Symphonie fantastique de Berlioz et s’apprête à repartir pour Riga.
Comme beaucoup de musiciens, il est surpris que la situation des salles de concerts ne se débloque pas : « J’entends autour de moi tellement de détresse ! Nous sommes pourtant tous très sérieux ; je ne comprends pas que l’on n’ait pas analysé, secteur par secteur, les endroits où l’on peut octroyer un peu de liberté ».
Beaucoup de Casadesus habitent encore le 18e : le frère de Jean-Claude, le compositeur Dominique Pabst, sa sœur l’actrice Martine Pascal, sa nièce Tatiana, chanteuse et compositrice. Le quartier a rendu hommage à cette famille chez qui l’art se développe comme les branches d’un arbre, même si elle a parfois souffert de son côté clanique : la place Casadesus, à Montmartre, n’est pas près de l’immeuble familial, mais à côté du Château des Brouillards, où vécut Renoir. Agréable voisinage pour une famille qui compte aussi une peintre, la sœur de Jean-Claude.
Fourmillant d’idées, l’œil pétillant, l’allure d’un éternel adolescent, Jean-Claude Casadesus a certainement hérité de sa mère cet appétit pour la vie et la scène, pour la transmission de la beauté de l’art : « C’est formidable d’avoir une passion, on n’est jamais seul. La musique ne vous trahit pas : c’est une immense prairie dont les fleurs sont les notes et les musiciens les jardiniers. »
Tout récemment, un disque est paru sur le label Evidence : Jean-Claude Casadesus dirige Mahler : Le chant de la terre (Das lied von der Erde) avec l’Orchestre national de Lille, la mezzo-soprano Violet Urmana, et le ténor Clifton Forbis. •
Photo : Thierry Nectoux