avril 2021 / Patrimoine et cadre de vie : les habitants prennent l’initiative
Rue Letort : un collectif redessine son artère
Près de la porte de Clignancourt, un collectif constitué à l’occasion du premier confinement, a élaboré un projet pour rendre sa rue plus verte et plus conviviale.
Cela se passe dans une co propriété située dans le bas de la rue Letort. Elle comprend quatre bâtiments, 140 logements et un jardin. Lors du premier confinement des liens se sont tissés entre les résidents. Assignés à domicile, ils se parlent, font de la musique ensemble et se rendent des services. Ils s’organisent aussi pour s’occuper du jardin. Bref ils autogèrent certains aspects de la vie quotidienne.
Pendant cette période, des difficultés d’une autre nature apparaissent, venant, elles, de la rue. Sur une centaine de mètres, entre la porte de Clignancourt et le square Sainte-Hélène, une quarantaine de jeunes se livrent à des trafics de toute sorte. Et y restent. Détritus jonchant le sol, vols, rixes, se succèdent entrainant une insécurité constante pour les résidents.
Quelques-uns préconisent la création d’une brigade d’autodéfense. La majorité d’entre eux refusent cette éventualité peu conforme à leurs convictions et ne leur paraissant pas susceptible d’améliorer la situation. Ils réfléchissent aux moyens de changer la donne. Ainsi naît l’idée d’une occupation plus optimale de la rue, de nature à rendre difficile son appropriation à des fins délictueuses. Actuellement les voitures règnent sur les lieux ne laissant guère le loisir aux habitants de s’y promener, d’y échanger, bref d’y faire société. Leur pari est donc de renverser la vapeur. Ainsi la situation devrait changer.
Un espace pour faire société
Ils conçoivent alors la rue de leurs rêves, « une rue douce » offrant « une distribution cohérente de l’espace public favorisant les piétons et la nature ». Leur projet, finalisé par une résidente ayant une formation d’architecte, s’articule autour de trois axes : inverser la répartition de l’espace au profit des piétons en élargissant les trottoirs ; récupérer l’espace collectif et restaurer du lien social au bénéfice des résidents, des commerçants et des usagers ; planter des arbres pour réduire la pollution, lutter contre les îlots de chaleur et participer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique.
Quel délai ?
La modélisation du projet fait rêver : la voie destinée à la circulation, automobile et cycliste, n’occupe plus qu’un tiers de l’espace. Une bordure d’arbres, le long de la chaussée et une large bande destinée aux piétons et aux fauteuils roulants au centre, chacune d’un mètre quarante, se partagent la surface restante. Le long des immeubles, un espace fonctionnel plus étroit accueille les poubelles. La communauté de voisins est devenue le Collectif du bas Letort, réunissant une centaine de personnes autour de ce projet. L’un de ses plus ardents défenseurs, Eric Aussy, militant syndicaliste et retraité, donne de son énergie. Et une des membres du collectif, Sarah Khazindar, utilise sa formation d’architecte pour en réaliser les aspects techniques.
Comment s’y prendre pour permettre la réalisation du plan ? Pendant la campagne municipale, les élus se sont déclarés enthousiastes et ont assuré de leur soutien. La Mairie a amélioré le nettoyage, ce qui était nécessaire. Et des places de stationnement seront supprimées. Pour le collectif, il ne s’agit que de mesures transitoires, et ils sont déjà las d’entendre « nous n’avons pas le budget nécessaire ». « Nous souhaiterions savoir, disent-ils quand le projet pourra être pris en compte et comment y travailler entre-temps. »
Quartier oublié
Du côté de la Mairie, même si le projet est en cohérence avec les engagements municipaux, on tempère : « Si on décidait de le faire, ce ne serait pas avant le budget 2022 et il faudrait rogner sur d’autres projets dans l’arrondissement », rappelle Antoine Dupont. Et d’énumérer les travaux prévus d’ici juin : la végétalisation tout près, rue Esclangon, les quatre places de stationnement supprimées pour améliorer la visibilité aux carrefours et créer des stationnements vélos et deux-roues. Deux ralentisseurs seront aussi installés rue Letort. « Il faut aussi savoir qu’on ne peut pas planter en pleine terre dans toutes les rues, car les sols sont déjà très engorgés par les multiples cables et conduites qui y circulent. » Des réponses que les habitants vivent comme une fin de non-recevoir. « Nous nous inscrivons dans la démarche de participation citoyenne tant prônée par la Ville de Paris et dans les mesures de son plan climat. Alors pourquoi ne sommes nous pas entendus ? Nous avons le sentiment que notre quartier, très populaire, intéresse peu la Mairie. Nous sommes la zone oubliée des projets de réaménagements urbains ». Le restera-t-elle ou la démarche citoyenne de ses habitants sera-t-elle entendue ?