Cet article est le second d’une série de trois consacrés à cet événement historique que fut la Commune de Paris. Beaucoup d’idées nouvelles ont été lancées, débattues, mais comment les informations circulaient-elles ? Quelle part ont pris les nouveaux moyens de diffusion, la photographie entre autres, et comment ont-ils façonné, dès 1871, et pour des décennies, l’imaginaire collectif ?
Tout commence à Montmartre, le 18 mars 1871
Le 28 janvier 1871 l’armistice est signé et Thiers est désigné, le 17 février, chef du pouvoir exécutif. La Garde nationale, conformément à la convention d’armistice, a conservé ses armes et surveille les canons fabriqués pendant le siège de Paris grâce à une souscription des Parisiens.
Au soir du 17 mars, Thiers, qui se méfie de la population, tente de faire enlever les 300 canons de la Garde nationale par la troupe. Il envoie les hommes du général Lecomte à l’assaut de la Butte, à 3 heures du matin, le 18. En bas de la rue Lepic, Turpin, un garde national est blessé et malgré les soins prodigués par Louise Michel, meurt. Les femmes se rassemblent au pied de la rue Lepic et des barricades s’élèvent un peu partout. Les soldats refusent de tirer sur la foule. Dans cette même journée un autre général, Clément-Thomas, est reconnu dans la rue : il a participé à la répression de 1848. A 17 h les deux généraux sont fusillés, rue des Rosiers, maintenant rue du Chevalier de la Barre. Clémenceau, le maire du 18e, arrivera après la fusillade. Thiers et son gouvernement s’enfuient à Versailles et, à 22 h, l’hôtel de ville est investi, le comité central de la Garde nationale s’y installe. Le 19 au matin le rapport de force est clairement en faveur des insurgés : le 26 mars auront lieu les élections et la Commune de Paris sera proclamée le 28. L’insurrection populaire s’achève deux mois plus tard. Le 21 mai, sur ordre du gouvernement de Thiers, les troupes conduites par le maréchal Mac-Mahon pénètrent dans Paris qui s’est couvert de barricades. Leur progression, quartier après quartier, durera jusqu’au 28 mai, fin de « la semaine sanglante », lorsque les 147 derniers fédérés, réfugiés dans le cimetière du Père-Lachaise, seront achevés au pied du mur qui porte désormais leur nom.
La butte Montmartre est attaquée le 24 mai par 30 000 hommes : Mac-Mahon croyait y trouver une forte résistance en raison de la présence des canons. En fait la trentaine de barricades peu épaisses et ne dépassant pas 2 m de haut ne sont tenues que par quelques centaines de combattants mal armés. Trente hommes derrière celle de la place Clichy, une centaine de femmes à celle de la place Blanche. Dans l’après-midi les soldats atteignent par la rue Lepic la mairie du 18e, située à l’époque près de la place des Abbesses. Plus à l’est d’autres troupes versaillaises enlèvent les barricades du boulevard Ornano et de Chateau-Rouge et attaquent au canon celle de la rue Myrha où le général Dombrowski, chef d’état-major de la Commune, est tué.
Lors de cette semaine les communards ont tué une centaine de partisans de Thiers tandis que les troupes de Mac-Mahon fusillaient sans jugement par milliers les partisans de la Commune. 43 000 personnes sont arrêtées, un très grand nombre d’entre elles mourront en prison avant d’être jugées, il y aura 95 condamnations à mort et 4 586 déportations au bagne de Nouvelle-Calédonie.
Communiquer par le son, l’écrit et surtout l’image
La Commune, c’est du sonore et du visuel : du sonore avec les crieurs de journaux, les clubs qui s’installent partout, souvent dans les églises, les discussions dans les cafés, jusque dans la rue et sur les barricades. C’est aussi beaucoup de visuels : les décrets étaient publiés par affiche, le gouvernement parisien faisait proclamer les décisions prises et les mairies d’arrondissement affichaient les leurs. Il y a aussi la presse, avec les feuilles locales éphémères et les nombreux quotidiens, par exemple Le Cri du peuple, Le Père Duchêne. On sait que les Parisiens étaient alphabétisés et aussi qu’il y avait des lectures publiques, collectives où les commentaires fusaient. Dans les journaux, beaucoup de textes et des caricatures en nombre.
Mais on trouve aussi par ailleurs des estampes, des gravures en couleur vendues au moment même de l’événement mais surtout après. On voit se forger un système de représentation notamment avec les photographies. Avant la Commune il y avait des photographes professionnels qui prenaient des portraits. Ceux qui ne sont pas partis lors du déclenchement de l’insurrection vont photographier la Commune, comme Braquehais par exemple. Il y a aussi des amateurs, et des « spécialistes », comme la police judiciaire. Les rares clichés de la Commune ne pouvaient paraître tels quels dans la presse car les techniques de reproduction ne le permettaient pas. Alors on adaptait ces photos en gravures. Mais le plus souvent ce sont des portraits réalisés plus tard, après l’arrestation des insurgés, qui seront publiés. C’est le cas des photos de Louise Michel qui datent de la période où elle était prisonnière. Il y a aussi des photos de barricades, mais là aussi, c’est davantage la gravure ou l’estampe et le dessin qui peuvent rendre compte de la vie que ces scènes aux visages et aux corps figés. Cela tient au temps de pose (environ deux secondes), mais aussi au fait que beaucoup sont mises en scène.
De plus, on assiste à la naissance du photomontage, où on reconstitue l’événement, avec des figurants. Procédé grossier, utilisé par les anti-communards, qui consiste ensuite à coller la tête de la personne réelle sur le corps du figurant. C’est le cas, entre autres, de la photo de l’exécution des généraux Clément-Thomas et Lecomte (voir ci-dessus), à la fois mise en scène a posteriori et retravaillée au bâton de colle ! Appert, qui en est l’auteur, est vraiment précurseur dans l’art de la manipulation photographique. Il semblerait aussi qu’il ait réalisé, pour la préfecture de police, des portraits des communards ce qui a conduit à les ficher et alimenter leurs dossiers. Les enjeux autour du rôle des images sont déjà là ! Enfin, il ne faut pas oublier un nouveau venu dans le domaine de la transmission, le télégraphe électrique, qui va permettre de propager rapidement les infos. Cela favorise la propagande et... beaucoup de fausses nouvelles, diffusées dans la France entière par le gouvernement pour décourager les insurgés !
Légende rouge et légende noire : la construction rétrospective de deux imaginaires
La Commune marque durablement l’imaginaire collectif. Entre pro- et anti-communards, « communeux » et « versaillais », se construit une dualité des représentations. Les communards, ou fédérés, lors de la première séance de la Commune annulent les trois derniers termes de loyer, décrètent le 2 avril la séparation de l’Église et de l’État, le 16 avril la réquisition des ateliers abandonnés. Ils rendent les écoles gratuites, obligatoires et laïques, expérimentent l’égalité entre les femmes et les hommes et inaugurent des procédés de démocratie directe, lancent la réflexion sur les communs… en 72 jours. La Commune est un laboratoire social, politique, culturel, et cet élan fondera le mythe de la Commune, « aurore des révolutions » avec ses héros et ses martyrs. Cette épisode se termine dans la violence : 10 000 à 20 000 morts, 43 000 hommes, femmes, enfants emprisonnés ou déportés en Nouvelle-Calédonie, comme Louise Michel, sans compter ceux, nombreux, qui doivent prendre le chemin de l’exil. Condamné à mort, Jules Vallès, le fondateur du journal Le Cri du peuple doit s’exiler à Londres jusqu’en 1880.
Après l’écrasement de la Commune les livres d’images se multiplient. Une série de sept photomontages réalisés par Appert, Les Crimes de la Commune, est vendue au public, dans un but commercial, de même que sont édités des albums représentant des ruines. Les portraits des insurgés sont aussi vendus, avec un effet non prévu : ils sont achetés par les partisans de la Commune qui se réapproprient à ce moment-là les communards, au point que fin 1872 le gouvernement interdit ces ventes car elles participent d’un culte de ce moment insurrectionnel ! D’autres retiendront les incendies, les destructions de bâtiments officiels dont les images sont amplement diffusées pour créer l’image des communardes-pétroleuses et des communards-criminels. Au delà, pourtant, ces images sont utilisées dès 1872 pour développer un « tourisme de ruines », initié par exemple par l’agence Cook depuis l’Angleterre … La vie des images et leur interprétation est une longue histoire.
Légende rouge et légende noire se construisent, s’opposent, et pendant longtemps la mémoire républicaine, nationale, de la Troisième République insiste sur la nécessité d’oublier la guerre civile. De fait, la Commune n’a pas fini de nourrir réflexions, interrogations et polémiques, comme en témoignent encore les discussions récentes au Conseil de Paris (lire notre numéro de mars 2020). Non, la Commune n’est pas morte !
Merci à Isabelle Ducatez de la société du Vieux Montmartre, à l’équipe de la médiathèque de Saint-Denis pour la recherche iconographique et à Marc César et Laure Godineau, coauteurs de La Commune de 1871 : une relecture [Ed. Créaphis, 2020] qui ont accepté un long entretien dont cet article est l’écho.