« Nous savons tous, sans exception, que nous sommes condamnés à mort à notre naissance… Je ne trouve pas plus con de mourir d’une balle dans la tête que de mourir au volant d’une R16, ou à Usinor en travaillant pour le SMIG… Mon métier, c’est de braquer. Alors mourir ou prendre le risque de mourir quand on vit dans la violence… », déclarait Jacques Mesrine au journal Libération en janvier 1979.
Il décèdera le 2 novembre 1979 à 15 h 15, après dix-huit mois de cavale, dans le 18e arrondissement de Paris, sur la place délimitée par le croisement du boulevard Ney, du boulevard Ornano et de l’avenue de la porte de Clignancourt, lors d’une embuscade très soigneusement préparée. Cette dernière nécessitera une quinzaine de véhicules, cinquante policiers de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) dirigée par le commissaire principal Robert Broussard et de l’Office central de répression du banditisme (OCRB) du commissaire divisionnaire Lucien Aimé-Blanc. Ce sera, d’ailleurs, la première fois qu’une opération contre un malfaiteur sera menée avec des moyens aussi spectaculaires.
Fausse identité de journaliste
Jacques Mesrine, 42 ans, vit alors avec sa dernière compagne Sylvia Jeanjacquot, 28 ans, dite la « Belle Italienne », dans un appartement du 18e arrondissement, loué sous une fausse identité de journaliste. Dans ce logement, situé au troisième étage du 35-37 rue Belliard, ils vivent confortablement. Ils sortent grimés avec des perruques et des lunettes de soleil et se changent dans leur camionnette. Des armes (deux fusils, une mitraillette, un pistolet, des munitions, des masques à gaz, etc.) sont présentes dans les pièces de l’appartement ; il y a aussi des cordes pour s’enfuir par la fenêtre. C’est un policier de l’OCRB qui, grâce à l’identification d’un complice de Mesrine, va repérer cette dernière planque. En effet, le 1er novembre 1979, l’homme ne s’en doute pas mais depuis deux jours son immeuble est cerné. Ce jour-là, les policiers renoncent à l’idée de l’arrêter « en avalanche », en plein milieu de la rue. Le bandit est armé et ce serait trop dangereux pour les riverains. Le 2 novembre, c’est l’anniversaire de Sylvia. Les hommes du commissaire Broussard décident de suivre le couple alors qu’il se rend en BMW 520, gris métallisé, accompagné de leur petit caniche, dans leur future demeure de banlieue. Dissimulés dans un camion bâché juste devant le véhicule, ils ouvrent le feu sur Jacques Mesrine et Sylvia Jeanjacquot. Vingt-et-un impacts de balle, trois seulement dans la carrosserie. Le braqueur n’a ni le temps de sortir son arme, un puissant 9 mm à 14 coups ni celui d’utiliser les deux grenades quadrillées qui ne le quittaient pas. Aussitôt de nombreux policiers encerclent le véhicule et constatent que le conducteur est mort. Affaissé sur son siège, retenu par sa ceinture de sécurité, les bras ballants en blouson de cuir marron et pantalon beige, barbu et moustachu, il est touché à la tête, au thorax et à l’abdomen. Sa compagne, grièvement blessée, est rapidement évacuée pour être hospitalisée. Vers 18 h 25, le corps de Mesrine est transporté vers l’institut médico-légal.
Une jeunesse tourmentée
Jacques Mesrine est né le 28 décembre 1936 à Clichy-la-Garenne dans une famille de commerçants de la petite bourgeoisie du textile, possédant une entreprise de dentelle de luxe à Paris, où il ne manque ni d’affection ni d’argent. Il entre dans un collège plutôt chic, tenu par des Oratoriens, d’où il sera renvoyé après deux ans de pénitence. Il déclarera, d’ailleurs, à propos de ses années de collège : « C’était le signe de croix à 6 heures du matin et le mitard à 6 heures du soir. Je suis le seul ancien à avoir comparu aux assises. Les autres travaillent plutôt dans l’escroquerie, dans le genre gouvernemental. » Scolarisé ensuite au prestigieux lycée Chaptal, il se bagarre et sèche les cours pour aller voir des films de cow-boys et de gangsters sur l’avenue de Clichy. La rue va devenir progressivement son univers et notamment le nord-ouest de Paris, entre les 17e et 18e arrondissements.
En effet, tandis que les jeunes de son âge sont attirés par les caves de Saint-Germain-des-Prés, lui passe son temps à Pigalle, avec ses bars et ses prostituées. Il fréquente, ensuite, le lycée laïc de Clichy mais, à cause de violences exercées envers son proviseur, il en est renvoyé. A 17 ans, il est embauché, grâce à son père, dans des entreprises de luxe mais pour de courtes durées car il a régulièrement des problèmes relationnels avec ses employeurs. De 1955 à 1956, il est marié à une jeune étudiante d’origine togolaise pour qu’elle ne demeure pas mère célibataire. Il adopte également son fils.
En 1957, il participe à la guerre d’Algérie comme militaire du rang et découvre les armes. Il apprend, dit-il, à massacrer et à torturer. Cette expérience va le traumatiser : « A vingt ans, la société m’a envoyé faire sa guerre, au nom des libertés, oubliant seulement de me dire que, par mon action, j’entravais celle des autres. Au nom de quoi m’avait-elle donné le droit de tuer des hommes que je ne connaissais pas… ? Cette société s’est servie de moi comme d’un pion, profitant de ma jeunesse et de mon inexpérience. Elle s’est servie de ma violence intérieure et l’a exploitée pour faire de moi un bon soldat, un bon tueur. Elle m’a rendu à la vie civile sans se soucier des séquelles que cette guerre a laissées dans mon psychisme. J’ai donc décidé de m’attaquer à elle pour lui faire payer le prix de ce qu’elle a détruit en moi. » Il sera décoré de la croix de la Valeur militaire et reviendra en France, en mars 1959, après avoir reçu un certificat de bonne conduite.
« L’homme aux mille visages »
De l’Afrique du Nord, il ramènera aussi une arme qui le fascine, le fameux colt 45. Mesrine divorce et commence à trafiquer et à participer à des cambriolages et vols à main armée. Lors de vacances en Espagne, il rencontre Soledad avec laquelle il aura trois enfants. Ils vivront dans le 18e, rue Boinod puis rue Dejean.
En 1962, il est condamné, une première fois, pour tentative de braquage d’une banque. A la sortie de dix-huit mois de prison, il souhaite quitter la vie criminelle et trouve un emploi dans un cabinet d’architecture d’intérieur. Mais, bientôt licencié et refusant de devenir « un esclave du réveille-matin », il se sépare de Soledad et retourne au grand banditisme.
Avec Jeanne, sa nouvelle compagne, il s’embarque dans un périple des crimes et délits qui commence par un fiasco. En 1968, ils vont au Québec où ils enlèvent un millionnaire handicapé mais qui parvient à s’échapper… Ils s’enfuient alors aux États-Unis, mais sont arrêtés puis extradés et placés en détention au Canada. Le 21 août 1972, Mesrine s’évade avec un détenu, particulièrement dangereux, de la prison de haute sécurité de Montréal. Lors de leur cavale, alors qu’ils s’entraînent au tir dans les bois, ils abattent froidement deux gardes-chasse venus les contrôler. Le 12 septembre de la même année, Mesrine rentre à Paris où il commet quinze hold-up en quatre mois. De nouveau appréhendé le 8 mars 1973, il réussit à s’évader du tribunal qui allait entendre son procès, en s’emparant du juge à la pointe d’un revolver qu’un complice avait caché dans les toilettes.
Criminel charismatique et médiatisé, Mesrine possède la capacité de changer de visage, selon les circonstances, de se grimer avec une rare perfection, pour passer inaperçu. Le 28 septembre 1973, il est arrêté, à son domicile du 13e arrondissement, par le commissaire Broussard qu’il invite, néanmoins, à boire le champagne pour célébrer cette « arrestation qui a de la gueule ». Il sera détenu jusqu’à la première semaine de mai 1977 où il doit répondre de treize accusations de vol à main armée et tentative de meurtre. Le 19 mai 1977, il est condamné à vingt ans de réclusion à la prison de la Santé. Le 8 mai 1978, avec l’autre roi de l’évasion, François Besse, surnommé « l’anguille », il s’échappe du quartier de haute sécurité (QHS) de la Santé. Pour les policiers, la traque de Mesrine commence à devenir une affaire personnelle car ils constatent, jour après jour, la violence croissante et illimitée qui l’anime. Le ministère de l’Intérieur décide de mettre un terme à la guerre des polices et d’unir les forces de l’OCRB et de la BRI. Ce rapprochement entre la préfecture de Police et la Police judiciaire aboutit à l’opération du 2 novembre 1979.
Coup de foudre au premier regard
« En 1978, un jour de printemps, un dénommé Pierre, déguisé en ouvrier, est entré dans le bar. Je l’ai vu. Ce fut un coup de foudre au premier regard. Il m’a fait la cour. Il a su me séduire. Nous ne nous sommes quasiment plus quittés jusqu’à sa mort », se souvient Sylvia Jeanjacquot, la dernière compagne de Mesrine. Elle était, à l’époque, barmaid dans un bar de Pigalle. Son amant finira par lui avouer, à peine un mois plus tard, sa véritable identité, sans lésiner sur les détails les plus rebutants. Cependant, amoureuse, elle consent à le suivre dans son tumultueux périple. Ensemble, ils voyagent en Italie, au Maroc, à Londres… sur une durée d’un an et demi jonchée de « coups », plus ou moins connus, planifiés par Mesrine.
A Paris, ils vont notamment vivre au 76 rue de Clignancourt, dans l’impasse Saint-François, dans le passage Charles Albert et enfin rue Belliard. « Il voulait faire braquer par ses amis la mairie du 8e arrondissement et nous marier avec ses calibres, en jean et en baskets », poursuit-elle, révélant les penchants petit-bourgeois de son homme. Loin d’être une victime subjuguée par son compagnon, Sylvia Jeanjacquot assume avoir partagé les combats de Mesrine : « Il valait la peine d’être connu. Je ne regrette pas, même si aujourd’hui je suis borgne, handicapée et estropiée. C’était quand même quelqu’un de bien. »
En mars 1977, le braqueur publie un livre autobiographique : L’Instinct de mort, dans lequel il revendique trente-neuf crimes. En avril 1979, une loi dite « Mesrine » est votée. Elle prévoit d’interdire à un condamné de percevoir les droits d’auteur afférents au récit de ses crimes. Ceux-ci seront versés à un compte spécial et affectés en priorité au dédommagement des victimes de l’infraction commise. Ce sera la première fois qu’un malfrat aura attaché son nom à un texte de loi. Enfin, lorsqu’on l’appelait « l’ennemi public n°1 » Mesrine, mégalomane, se fâchait : « Cela ne veut rien dire, c’est un mythe, en fait, je suis l’ennemi des services publics, des riches et de ceux qui dirigent la société, je ne suis pas le grand méchant loup, je ne mange ni la grand-mère ni le Chaperon rouge, en fait , je considère que je suis un truand qui fait son métier proprement. » Un discours qui résonne encore pour certains. Aujourd’hui la sépulture du braqueur au cimetière de Clichy est l’objet d’un hommage annuel. Chaque 2 novembre des admirateurs viennent s’y recueillir avec forces coupes de champagne. •
Photo : D.R.