Après une accalmie durant la crise sanitaire, les campements de personnes exilées sont de retour dans le nord-est parisien, assortis du cycle désormais familier : évacuation, mise à l’abri, reformation d’un camp. En arrière plan, le gouvernement diminue pourtant le nombre de places en hébergement d’urgence.
C’était la 18e opération de « mise à l’abri », selon la préfecture. Le 17 novembre, une opération d’évacuation du campement situé sous le métro aérien près de la station La Chapelle, coordonnée par la préfecture de région, a abouti à la mise à l’abri de 956 personnes (selon la préfecture), réparties dans des centres d’hébergement, en Ile-de-France et en province. Depuis le mois de septembre, un campement s’y était en effet formé très rapidement. En quelques semaines, plusieurs centaines de migrants, en majorité afghans, pour la plupart tout juste arrivés en France, s’étaient installés là pour dormir, dans des conditions d’hygiène et de sécurité déplorables. Une épidémie de gale s’était notamment propagée.
Une situation trop familière
Une première évacuation, le 27 octobre, s’était avérée sous-dimensionnée : 650 personnes mises à l’abri, mais plus de 400 personnes restées sur le carreau. Après plusieurs jours de flottement, durant lesquels la police a bloqué l’accès au site, forçant les personnes à dormir sur le trottoir, autour du square Louise de Marillac, la préfecture s’est résignée à la formation d’un nouveau camp au même endroit. L’opération du 17 novembre a été mieux dimensionnée ; même s’il semble probable qu’un autre campement se reforme prochainement. Un peu plus loin, près du métro Stalingrad, un autre campement subsiste depuis des mois, sur le site du jardin des Fermiers généreux (lire encadré ci-dessous).
La situation est tristement familière pour de nombreux résidents de l’arrondissement qui, depuis 2015, ont assisté au même cycle : des campements se forment autour de Stalingrad et La Chapelle. La situation devient rapidement hors de contrôle, avec l’augmentation de la population et les conditions sanitaires qui se dégradent. La Mairie en appelle à l’Etat pour procéder à l’évacuation et à des relogements, tandis que des associations, et souvent de simples citoyens bénévoles, interviennent sur les campements pour apporter le minimum : nourriture, soins, aide aux démarches.
Après une accalmie pendant la crise sanitaire, les arrivées sont reparties à la hausse, et ces nouveaux campements mettent en lumière l’insuffisance du dispositif d’accueil et d’hébergement d’urgence. Selon un schéma familier, les pouvoirs publics se renvoient la responsabilité de la situation : la Mairie souligne que l’hébergement d’urgence et l’accueil des demandeurs d’asile relèvent de l’État ; tandis que la préfecture rappelle procéder à des mises à l’abri fréquentes.
Si chacun des acteurs publics affiche sa mobilisation, cela ne répond pas à la question que peut se poser chaque riverain et citoyen : pourquoi est-il acceptable que des centaines de personnes passent plusieurs semaines dehors dans ces conditions ? Pourquoi est-ce toléré pour ces personnes-là, dans ce quartier là ? Pour les associations engagées dans l’accueil des personnes exilées, comme Utopia 56, l’exemple de la crise ukrainienne démontre une inégalité de traitement entre exilés (lire notre n° 303), et la mauvaise foi des autorités concernant les capacités d’accueil, puisque des places d’hébergement temporaire ont bien été trouvées, dans l’urgence, pour faire face à l’afflux en provenance d’Ukraine (plus de 100 000 réfugiés depuis le mois de mars).
Des droits difficiles à mettre en œuvre
La plupart des personnes présentes sur les campements de La Chapelle étaient des demandeurs d’asile, selon les associations. Ils doivent donc, en principe, être pris en charge dès leur demande déposée. Mais le simple dépôt d’une demande d’asile prend souvent plusieurs semaines, du fait de l’engorgement du système. En 2021, l’État a créé un nouveau schéma national d’accueil des primo-arrivants, avec de nouveaux centres d’accueil et d’examen des situations (CAES), censés jouer le rôle de « sas », pour l’orientation vers des centres d’hébergement pérenne, en fonction des situations. Force est de constater que ce nouveau dispositif ne suffit pas, puisque l’accueil se fait « par le trottoir ».
La persistance de ces campements, sur lesquels de nombreuses personnes ne restent que quelques jours, semble démontrer la nécessité d’un dispositif d’accueil transitoire dans la capitale. Selon Ian Brossat, adjoint (PCF) au logement à la maire de Paris, l’expérience du centre de la porte de La Chapelle, la fameuse bulle, qui avait été conçu précisément pour cela, à l’initiative de la ville, en 2016, n’est pas près de se reproduire, le gouvernement y étant opposé.
M. Brossat fait valoir que la ville va au-delà de ses compétences pour trouver des places d’hébergement d’urgence, en centres d’accueil provisoires et dans des gymnases réquisitionnés. Il regrette que le gouvernement ait supprimé en 2022 7 000 places d’hébergement d’urgence à l’échelle nationale, créées pendant la crise sanitaire [la suppression de 7000 places supplémentaires en 2023 a été retirée du projet de loi de finance, à la suite de l’opposition de nombreuses associations du secteur]. Du côté de la préfecture, on communique sur la « mobilisation permanente pour accompagner les personnes les plus précaires ». Mais les policiers présents lors de l’évacuation à La Chapelle se disaient résignés au cycle des évacuations, comme si ces campements étaient inévitables. En réalité, on peut douter d’une véritable volonté politique de mettre fin à ce cycle. •
Photo : Joaquim Jarreau