Le vert gagne du terrain partout, même à l’intérieur. Rencontre avec les nouveaux accros du jardinage d’appartement.
Chaque matin, sous les toits du boulevard Ornano, Aline a son petit rituel : prendre son café au milieu de ses plantes, qu’elle examine sous toutes les coutures, arrose et soigne à la carte. Une trentaine de variétés (parfois en plusieurs exemplaires) peuplent son salon-cuisine.« Ici ce sont les soins intensifs. » Elle désigne une banquette près de la fenêtre où une caisse en bois accueille des boutures un peu mal en point et des pousses tout juste naissantes.
Comme Aline, arrivée à Paris en septembre avec seulement deux ou trois plantes, ils sont nombreux à s’être récemment découvert la main verte. Oxalys, pothos, ficus tineke et surtout la très à la mode monstera n’ont plus de secrets pour eux. Qu’ils aient besoin d’occuper les confinements successifs, de faire venir la nature dans leur intérieur, ou de se déstresser au quotidien. « Rempoter un truc le midi, ça me détend, explique Audrey qui vit du côté des Grandes carrières et travaille dans l’industrie de la musique. Je les regarde tout le temps, je les vois pousser, c’est génial. »
A l’autre bout de l’arrondissement, rue Ordener, Claire, professeur de philosophie, multiplie aussi les acquisitions : « J’en avais trois ou quatre, mais avec le confinement j’ai eu envie de plus de plantes. Il faut dire que j’ai dû rester isolée près d’un mois entre la Covid de mon copain puis les cours à distance. »
Un air plus pur ?
Pour certains, les plantes représentent aussi une tentative d’assainir leur intérieur. « J’habite sous les toits, explique Sylvain 28 ans. Il y a un peu d’humidité alors j’essaye de privilégier les espèces filtrantes. » Claire, elle, espérait qu’elles absorberaient un peu de la fumée de ses cigarettes. « Mais j’ai compris qu’il me faudrait bien plus que ma trentaine de pots pour que cela ait le moindre effet. » Qu’importe, sa collection s’étoffe, progressivement.
La plupart de ces végétaux, Aleksandra, qui habite rue de La Chapelle les fait pousser à partir de boutures, voire de graines qu’elle aime regarder germer dans une petite serre posée sur un tapis chauffant. « Je n’aime pas dépenser d’argent dans les plantes », observe-t-elle simplement. Audrey, elle, fait plutôt confiance à quelques fleuristes de choix, qu’elle visite tous les week-ends. « On ne peut plus sortir, donc ce que je mettais dans les verres pris avec les amis, je le dépense en plantes. »
Ces nouveaux adeptes du végétal ne sont pas tous des acheteurs compulsifs. « Moi j’aime que la plante ait une histoire, explique Claire. Et puis je suis très intéressée par l’économie alternative. Alors j’utilise pas mal l’application Geev (dons en ligne de toute nature) et j’échange aussi des boutures avec des collègues. » Et de montrer un poinsettia récemment récupéré.
Sur Facebook, on ne compte plus les groupes de « plant addicts » et de troc, où s’échangent non seulement boutures mais aussi conseils contre les nuisibles ou recettes de sauvetage pour ficus dégarnis. « Les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidée à découvrir de nouvelles plantes, certaines très rares », poursuit Aleksandra. La jeune femme partage son petit 20 m2 dont les fenêtres plongent sur le jardin partagé Ecobox, non seulement avec Jacopo, mais aussi avec une centaine de plantes. « Même dans la salle de bain, fait mine de grogner son compagnon. Quand je me brosse les dents je me heurte aux lampes horticoles. »
Une passion qui pourrait devenir envahissante ? « Mon copain trouve que je deviens obsessionnelle, remarque Audrey. Je suis pas mal de comptes sur instagram, que je lui fait regarder aussi. Normalement il s’abonne à des trucs de militants de gauche, là il se retrouve avec des bégonias, des hérissons. Il faudrait peut-être que je me calme. » Pourtant, Audrey réfléchit aussi à se débarrasser de quelques livres pour faire de la place… à d’autres plantes.
Photo : Sandra Mignot