Le projet Voi(e,x,s), mené depuis trois ans par la compagnie Manque pas d’Airs (MPDA), se fait l’écho d’un travail sur l’interaction possible entre la musique et l’urbanisme.
C’est un peu par hasard qu’Alexandra Lacroix découvre en 2017 la « friche SNCF » de Chapelle-Charbon : une jungle, une « zone de non-droit » difficile d’accès, protégée par de hautes palissades, derrière lesquelles la nature avait repris ses droits. Un espace complètement sauvage, dans tous les sens du terme, qui interpelle la fondatrice de la compagnie MPDA. « J’ai trouvé assez magique de voir ces hectares complètement libres en plein Paris, avec une nature verdoyante et surtout, la permanence des installations de la gare de fret, un quai, une canopée », se souvient-elle.
Commence alors un travail de recherche, d’analyse, de rencontres qu’elle mène en parallèle avec une équipe de chercheurs avec qui elle collabore déjà, Theatrum Mundi, un centre de recherche et d’expérimentation sur la culture publique des villes, créé par le sociologue américain Richard Sennett. La compagnie MPDA-Alexandra Lacroix, qui s’intéresse à la mise en scène et en corps de la musique en l’inscrivant dans l’espace, retrouve ainsi un interlocuteur qui l’accompagne dans la réflexion autour de ce lieu, dont l’avenir est déjà entre les mains des urbanistes qui projettent d’en faire le parc qu’il est devenu.
La parole des riverains
« Nous avons décidé d’accompagner la transformation de ce lieu, car nous avions constaté que le parc avait des propriétés acoustiques exceptionnelles, puisque la canopée permettait de faire circuler les sons et que l’on pouvait parler, chanter et s’entendre malgré la distance. » L’enjeu était de voir si de nouvelles façons d’utiliser le parc pouvaient naître de l’intervention artistique. Le travail mené par des architectes, des paysagistes et des urbanistes avec les artistes de la compagnie donne lieu à des conférences (dont une à Londres), des publications mais également à des rencontres avec des habitants qui vivent à l’orée de cet espace et qui souvent ne le connaissent pas.
Outre la collecte des objets abandonnés par l’activité ferrovière (boulons, pièces de métal, céramiques, copeaux de bois…), la compagnie recueille également la parole des riverains. Elle intervient, entre autres, auprès des enfants du centre de loisirs Charles Hermite qui ont participé à la première présentation publique du projet, les 22 et 23 juin 2018, ainsi qu’auprès des habitants du quartier à qui est proposée une découverte sensible de cet espace.
Explorer par la voix et le corps
Tout ce matériel collecté, objets et sons, participe à la création lyrique et musicale imaginée par Alexandra Lacroix et la compositrice de l’IRCAM, Marta Gentilucci. Les interprètes seront les six chanteurs de l’ensemble Aedes. Leurs voix se mêleront à une composition électronique qui témoignera du passé tout autant que du chantier et du présent, et qui sera spatialisée dans le site, grâce à la technologie de l’IRCAM. « Le propos est d’ouvrir au maximum les sens, les possibilités grâce à un fil conducteur artistique qui permet d’explorer au maximum, par la voix, par le corps, par le texte », poursuit Alexandra Lacroix.
Autre lieu partenaire du projet, le théâtre de l’Etoile du Nord. Certaines des répétitions s’y déroulent : le spectacle compte deux danseurs, l’une venant de la danse contemporaine, l’autre du hip-hop, ainsi que deux voix qui récitent et une performeuse plasticienne qui interviendra lors du spectacle, autour des objets récoltés tels des pierres précieuses « un peu comme une déesse du passé, un lien de mémoire, qui traverse le temps ».
Une grande fresque verra également le jour, avec les prénoms des habitants et le projet de conserver de façon pérenne une partie de la composition musicale est à l’étude. •
Photo : Dominique Boutel