Cuisinière de métier, Emma s’est rapprochée d’un réseau spontané de livreurs à vélo pour apporter de délicieux repas aux sans-abri.
Un agneau de 7 heures pour Pâques, des gaufres de brocoli aux asperges et saucisse de Strasbourg accompagnées de leur carrot cake à l’orange ou encore un taboulé au poulet assorti d’une tartelette aux fruits. Ce menu n’est pas celui d’un des restos favoris qui nous manquent tant. Ce sont les plats concoctés chaque jour chez elle – même le dimanche – par la cheffe Emma Iches à l’intention des personnes sans abri confinées… dans la rue. « C’est important de les traiter comme n’importe quel client, ce sont des citoyens comme les autres et ils doivent savoir qu’on ne les oublie pas. »
Cette habitante de la Goutte d’Or travaillait pour une start-up qui livre chaque jour des plats faits maison pour le déjeuner de salariés en entreprise. Lorsque le confinement a été décrété, elle s’est retrouvée avec son stock d’aliments sur les bras. « Mes colocs sont partis se confiner ailleurs. J’étais seule chez moi, sans personne pour qui cuisiner alors que j’adore ça. » Emma cherche donc à offrir des repas aux soignants. « Mais je n’avais personne pour assurer la livraison, et je dois respecter au maximum le confinement car je figure parmi les personnes dites à risque. »
Un mouvement spontané
Emma découvre alors via Facebook le mouvement Pour eux. Née à Lyon le 26 mars, cette initiative est celle d’aficionados de la Mad Jacques, un défi collectif qui consiste, chaque été, à rallier en stop (ou à vélo), au départ de toutes les grandes villes de France, un village de la Creuse. « On s’ennuyait chacun de notre côté et on a commencé à se fixer des petits défis en ligne », résume Melissa Saint-Gilles, une des cyclistes parisiennes, participante de la première heure au mouvement. « Parmi ceux-ci, préparer un repas pour une personne sans domicile et lui livrer à vélo. » L’initiative prend tant et si bien qu’un véritable réseau de livreurs amateurs et cuisiniers plus ou moins aguerris se fédère, d’abord à Lyon, Paris et Lille, puis dans d’autres villes. Il se dote d’une appli permettant aux uns d’inscrire les repas qu’ils ont concoctés et aux autres d’en organiser la collecte et la livraison. Il équipe ses cyclistes de masques en tissu et de gants, fournit des contenants aux cuistots volontaires et se dote d’une charte sur le respect des conditions d’hygiène, les règles de distanciation et même sur la qualité citoyenne et non lucrative du mouvement.
Et des dons pour acheter les ingrédients
Au 1er mai, le réseau avait ainsi permis la livraison de 11 249 repas sur l’ensemble de la capitale. « On s’est rendu compte que la grande partie des cuisiniers et livreurs sont dans le nord-est, les 18e, 19e, 20e, et aussi dans les 11e et 12e arrondissements », observe Melissa. Si ceux qui cuisinent ne participent qu’occasionnellement, Emma, elle, fournit quatre à six repas par jour. « Beaucoup de gens éprouvent le besoin de se rendre utiles alors qu’ils sont au chômage partiel ou que, ne se rendant plus au bureau, ils ont un peu plus de temps, justifie Emma. Moi, ça me fait du bien de cuisiner pour les autres. »
Comme elle est également bloggeuse culinaire, Emma a pris l’habitude de photographier les plats qu’elle concocte et de les poster sur les réseaux sociaux. Très vite, ses contacts ont proposé de la soutenir et font régulièrement des dons pour qu’elle s’approvisionne en denrées. Il lui arrive de se rendre chez un grossiste alimentaire, mais la plupart du temps elle se fait livrer et reste confinée à la maison. Combinant le respect des conditions d’hygiène lorsqu’on cuisine pour autrui et celui des gestes barrières quand les plats sont transmis aux livreurs, la cheffe répond entièrement aux exigences sanitaires.
« J’ai déjà distribué 209 repas et j’ai encore de quoi en fournir 39 », résume Emma. A l’issue du confinement, elle souhaite pouvoir continuer une à deux fois par semaine, si les dons se maintiennent. « Les gens qui cuisinent auront moins de temps libre, peut-être que certains continueront les week-ends, espère aussi Melissa. En tout cas, c’est vraiment chouette d’apporter un sourire aux potos de la rue. » •
Photo : Jean-Claude N’Diaye