Médecins de ville, spécialistes, infirmiers : comment font-ils face à la pandémie ? Si certains ont pu se croire inutiles, tous se sont réorganisés alors que certains patients, par peur de la contamination ou par crainte de déranger, ont hésité à venir consulter .
Dans la salle d’attente du cabinet rue Hermel, seulement trois patients et deux bébés, alors que d’habitude c’est plein. Ce jour-là, avant de commencer les consultations, la docteure Anne-Sophie Laugier doit d’abord faire le ménage. La chaise, la table d’examen, le bureau, tout est minutieusement passé au désinfectant. Elle porte une longue blouse, offerte par une société de produits cosmétiques, et un masque. « On évite que les gens se croisent. Quand on a deux personnes dans la salle d’attente, on leur demande de ne pas changer de chaise et d’éviter de se déplacer. »
« Au début, on s’est dit qu’on ne servait à rien, on s’est mis sur les listes pour faire des tours de garde à l’hôpital, raconte-t-elle. On croyait être hors du truc, alors qu’on a fait un travail en amont tellement important. » Des spécialistes, cardiologues, rhumatologues ou autres avaient fermé. Et leurs patients souffrant de maladies chroniques, les cardiaques, hypertendus ou diabétiques, ne sont pas venus pour autant chez le généraliste. Certains ont peur, d’autres ne veulent pas déranger en temps de crise. « Les gens ont pris sur eux, mais ils n’auraient pas dû », observe Anne-Sophie Laugier.
Pourtant, depuis, les quatre médecins du cabinet n’ont pas chômé. Ils ont organisé leur travail autrement. « Pour éviter toute contagion, nous avons opté pour la consultation par téléphone ou vidéo, explique la médecin. Mais c’est compliqué sans le contact… On a même eu à gérer une patiente qui faisait un AVC au bout du fil. »
Des patients en larmes
Le mail est aussi utilisé. On a ainsi demandé à un patient âgé avec des lésions au pied d’envoyer une photo. Ceux qui présentent des symptômes potentiels de Covid-19 sont reçus en fin de journée ou renvoyés sur Covidom, la plateforme téléphonique de l’AP-HP étendue aux médecins libéraux fin mars pour suivre les malades peu atteints et non hospitalisés.
« Personne ne vient au cabinet sans l’accord du médecin. » Setti Lachani, la secrétaire médicale, qui a pu mettre ses petits de 5 et 9 ans à l’école pour les enfants de soignants, fait le premier tri. Elle n’avait pas de masque la première semaine, mais elle fait « très attention » aux règles sanitaires. Au bout du fil : des gens en larmes, des patients qui se plaignent d’avoir du mal à respirer mais qui vont mieux en l’écoutant. « Je leur parle, j’essaie de les rassurer puis je leur passe le médecin. »
Il faut dissuader les personnes âgées qui veulent venir voir le docteur alors qu’elles doivent rester chez elles pour se protéger, éviter le risque de contamination pour les femmes enceintes, etc. Viennent évidemment les nouveaux-nés à vacciner, et tous ceux, dépressifs, cancéreux ou en post-opératoire qui n’ont plus où aller pour être pris en charge. Le centre médico-psychologique est fermé.
Un peu moins de visites mais plus longues
Infirmier sur la Butte depuis dix-huit ans, Jean-Yves Le Page et son confrère continuent leurs visites à domicile sept jours sur sept, apportant aussi une aide psychologique et même sociale. Comme il y a moins de soins post-opératoires, ils font 30 à 35 visites par jour – au lieu d’une quarantaine auparavant –, et ils prennent quelques rendez-vous au cabinet.
Une bonne partie de leur patientèle à domicile est composée de personnes âgées ou souffrant de troubles psychologiques ou cognitifs. « Ils étaient habitués au confinement mais, voyant ce qui se passait à la télé, ils ont subi un gros stress, un état de sidération. » Chez certains, de la paranoïa, des peurs de fin du monde, des théories complotistes. « C’était très fatigant. Les premières semaines, au lieu de passer 20 minutes auprès d’eux on doublait notre temps. »
Les personnes âgées vivent souvent seules. Le facteur ne passe plus, les aides à domicile non plus, les familles sont loin. L’infirmier est devenu le seul interlocuteur. A une dame qui souffre de la maladie d’Alzheimer, il faut répéter inlassablement les règles d’hygiène, insister sur l’importance de se laver les mains. Chez un couple de 92 et 94 ans qui ne peut plus se rendre à la laverie, on conseille de laver le petit linge à la main et de laisser le reste pour plus tard. « On voit des appartements un peu dégradés, des gens qui ne mangent pas à leur faim, le ménage n’est pas terrible, certains n’ont pas de lave-linge ou ne savent pas s’en servir. Parfois il faut alerter la famille. »
Les deux infirmiers ont adhéré à un réseau de quartier organisé par une consœur pour échanger des informations sur le gel, les blouses, les masques. A la pharmacie des Abbesses, Catherine Cayla dit avoir été plutôt bien tenue au courant sur le matériel à fournir aux soignants de ville, en dépit d’informations contradictoires sur le nombre de masques à remettre. La dernière semaine d’avril, la pharmacienne avait du gel mais pas de flacons et n’arrivait « par aucun biais » à obtenir gants et thermomètres. « Si ça se trouve, le 11 mai on ne sera pas déconfiné », s’inquiète-t-elle.